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De retour du Mali, un sous-officier luxembourgeois témoigne


Pour le sous-officier, «le but ultime est que les Maliens puissent eux-mêmes former leurs soldats». (photo Armée luxembourgeoise)

Un sous-officier de l’armée luxembourgeoise est revenu la semaine dernière après six mois de mission au Mali. Il témoigne de son expérience.

Pour des raisons de sécurité, le jeune sous-officier avec grade de premier sergent de 28 ans se doit de garder l’anonymat. Il a participé en tant que sous-officier instructeur à la mission de formation de l’Union européenne (EUTM Mali) visant à contribuer à la formation des forces armées maliennes.

Le Quotidien : Depuis combien de temps êtes-vous dans l’armée et pour quelle raison vous êtes-vous engagé?

Le sous-officier  : Cela fait dix ans que je suis dans l’armée. Je me suis engagé à 18  ans, car j’en avais marre de l’école ( il rit ). Ces dix ans ont été une très bonne expérience, j’ai fait beaucoup de choses différentes, j’ai vu un peu de tout et j’espère que cela va continuer comme ça.

S’agissait-il de votre première mission à l’étranger?

Non, c’était ma deuxième mission. J’étais au Kosovo il y a deux ans (NDLR  : l’armée luxembourgeoise participe à la KFOR, une force armée multinationale mise en œuvre par l’OTAN sur mandat du Conseil de sécurité de l’ONU). Nous avons un sytème de roulement avec un plan qui est fait sur plusieurs années et c’était à mon tour d’y aller.

Quel était votre rôle sur le terrain?

Comme j’étais le seul Luxembourgeois qui était au Mali à ce moment-là (NDLR  : il y en a désormais deux), je représentais, d’une part, le Luxembourg par rapport à toutes les autres nations présentes dans le cadre de cette mission (NDLR  : 25  États sont contributeurs de l’EUTM Mali dont 22  États membres de l’UE). Et d’autre part, en tant qu’instructeur, j’avais pour mission de fournir une formation à l’armée et aux forces de sécurité maliennes. Sur la base de Koulikoro (NDLR  : à 60  km au nord-est de la capitale Bamako), on réalise deux types d’entraînement différents.

Soit on entraîne des jeunes soldats sans expérience, en partant de zéro jusqu’au maximum que l’on peut atteindre  : lecture de cartes, instruction tactique, exercices de tirs… la base de chaque militaire pour pouvoir faire son boulot dans son pays. Ou alors ce sont des gens qui ont déjà reçu une formation, une année ou une année et demie avant, et qui reviennent pour avoir une sorte de remise à niveau des compétences acquises lors de leur première formation, on appelle ça un « retraining ».

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Quelle est votre opinion par rapport aux forces maliennes que l’on dit souvent mal préparées pour faire face à la menace jihadiste?

Je ne dirais pas nécessairement mal préparées. J’ai eu en face de moi des gens qui avaient une expérience, un bon niveau de compétences. Chez les personnes que j’ai « réentraînées », le niveau était franchement pas mal. Après, ils n’ont pas les moyens que nous avons, ça c’est sûr. (…) L’équipement et les armes sont là, ils en ont à leur disposition pour les missions de combat. Mais pour tout ce qui est entraînement et formation, je pense qu’ils n’ont pas prévu tout ça. Donc, là, il y a un grand manque de matériel pour qu’ils puissent justement s’entraîner par leurs propres moyens.

Pourriez-vous raconter une journée type de ces six mois?

Se lever le matin, prendre le petit-déjeuner ( il rit ). Le matin, on travaille quatre heures. Après ça, l’après-midi normalement, il y a un temps de repos assez long du fait des températures très élevées. Et puis après de nouveau de l’instruction.

Et vous aviez combien de personnes sous votre commandement?

J’avais dix personnes, un chef de section malien et ses neuf soldats. Donc, j’entraînais les soldats maliens et en même temps je faisais le mentoring pour le chef de section, pour lui apprendre la façon de faire une instruction, comment corriger les fautes… Il y avait une sorte de double emploi dans l’instruction. Le but ultime est que les Maliens puissent eux-mêmes former leurs soldats.

Est-ce que vous vous mêliez à la population locale?

Non pas vraiment, ça c’est un peu dommage. Notre mission était vraiment concentrée sur l’instruction, Au Kosovo, on était plus au contact avec la population. Après, l’armée malienne, quelque part, c’est aussi la population sur place, donc, le contact se fait, mais c’est vrai que l’on n’a pas vraiment eu le temps d’aller dans un village parler avec les gens.

Humainement, que retenez-vous de votre mission?

Je dirais que ce sont des gens qui n’ont pas beaucoup, mais ils ne sont pas malheureux. Ils sont contents avec ce qu’ils ont et s’ils avaient encore la possibilité de donner un petit quelque chose de ce qu’ils ont, ils le feraient (…).

Je dois dire que je n’ai jamais vu des gens qui ont un tel moral (NDLR  : en parlant des soldats maliens). Chaque matin, ils se déplacent hors du camp en chantant. Dans leur grande majorité, ils affichent presque toujours un grand sourire. Ce sont des gens qui viennent à votre rencontre. Il ne faut pas beaucoup de temps pour sympathiser. L’ambiance pour travailler était super.

Vous seriez prêt à refaire une mission au Mali?

Une instruction comme cela? Franchement, je la referais à tout moment. Enfin, je vais d’abord prendre mes congés ( il rit ).

Est-ce que ce n’est pas trop dur d’être loin de sa famille et de ses proches pendant une si longue période?

Je pense que c’est un challenge, c’est sûr. Après, ma compagne connaît ma situation et les contraintes qui vont avec. Et puis ils ont également internet là-bas et donc il est possible de communiquer, notamment avec Skype. C’est une vie à laquelle on se fait quand même à un moment donné.

Nicolas Klein

Le contexte

Le nord du Mali était tombé en mars-avril 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. Ces groupes (qui menaçaient même Bamako) en ont été en grande partie chassés par une intervention militaire internationale lancée en janvier 2013 à l’initiative de la France, qui se poursuit actuellement (l’EUTM ne participe pas aux combats).

Mais des zones entières échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères, malgré la signature en mai-juin 2015 d’un accord de paix entre le gouvernement malien, les groupes qui le soutiennent et l’ex-rébellion de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Les attaques jihadistes se sont étendues depuis le début de 2015 vers le centre, puis le sud du pays.