Denis Robert, journaliste et écrivain surtout connu sous nos cieux pour être à l’origine de l’affaire Clearstream, regrette le « Charlie » des fondateurs, celui de Cavanna et de Choron. Il revient aussi pour Le Quotidien sur ce qui a changé ou pas depuis un an.
Vous avez écrit un ouvrage très polémique paru en novembre dernier, intitulé « Mohicans », qui raconte l’histoire des fondateurs de Charlie Hebdo. Avez-vous encore des amis dans ce journal ?
Denis Robert : Bien sûr. Ils ne sont pas à la direction, ils sont dessinateurs ou chroniqueurs. Ceux que je connais sont tous déprimés depuis les événements qu’ils ont connus il y a un an, mais aussi parce qu’ils sont en conflit très dur avec la direction depuis la reprise en main de la communication, avec des gens comme Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, et Anne Hommel, spécialiste de la communication de crise qui fabrique de la com pour les dictateurs africains. Ce sont eux qui tiennent le journal et des gens comme Patrick Peloux ou Zineb El Rhazoui sont sur le départ ou en congé. Il y a une stratégie d’écœurement mise en place par la direction. Il y a, d’un côté, la vitrine, le matraquage de communication et, de l’autre, la réalité du journal et ça se sent quand on le lit. C’est dur de faire un journal dans ces conditions.
Vous étiez en plein montage du film que vous avez réalisé avec votre fille Nina, intitulé « Cavanna. Jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai », quand a eu lieu l’attaque contre le journal satirique. Comment avez-vous réagi ?
Oui, il me restait l’interview de Wolinski à faire le vendredi de la même semaine. On avait échangé des SMS et il était fatigué. Le rendez-vous avait été remis et son épouse Maryse m’avait affirmé que Wolinski avait retrouvé la pêche. Et puis voilà. J’étais abasourdi, car mon film avait subi un premier choc avec la mort de Cavanna, un an plus tôt. Le film avait donc changé de nature et je le terminais quand l’attentat est arrivé. Nina et moi, on ne savait pas quoi faire sur le coup. On voulait tout remonter, mais finalement, j’ai arrêté à la minute 80 et je suis parti voir le dessinateur Willem qui est le dernier des Mohicans. On a parlé de la laïcité, du dessin. Depuis, le film a fait son petit tour du monde et le DVD est en tête des ventes à la Fnac. Le film a touché le public.
C’est quoi l’esprit « Charlie » pour vous ?
L’esprit « Charlie », c’est celui de ses fondateurs, Choron et Cavanna. C’est un humour gentil et intelligent. Ils riaient de tout, mais n’étaient pas cyniques. L’humour c’est un coup de poing dans la gueule, disait Cavanna. Leur humour se moquait de l’argent et du pouvoir, l’inverse de ce qu’a construit Philippe Val. Il y a encore des gens qui partagent cet humour.
Quand le monde défile sous le slogan « Je suis Charlie », ça vous agace ?
C’est très paradoxal, car beaucoup d’amis défilaient, mais personnellement j’étais incapable d’aller faire un tour dans la rue, car je n’étais pas ce Charlie-là. Même Marine Le Pen est Charlie et le pape aussi. C’est un fourre-tout.
Y a-t-il eu en France, selon vous, un avant et un après-Charlie ?
Je crois qu’il y a eu une récupération politique qui ne sent pas très bon. Je trouve que François Hollande a été humainement à la hauteur, il a fait ça avec dignité et c’était émouvant de voir ces millions de Français dans les rues. C’est une France un peu différente de celle que nous présentent les médias. Nous avons vu une France qui battait le pavé. Il y avait une petite frange qui était là pour casser du musulman, une autre pour revendiquer plus de sécurité en France, mais dans l’immense majorité, il y avait cette fraternité et cette douleur qui nous saisissaient tous. On était abattus par la connerie et la violence de ces enfants qui sont issus de ce même pays et toute la tragédie est là. Et depuis un an, on ne l’a pas pris en compte.
Entretien avec Geneviève Montaigu