L’Arabie saoudite a adopté ces dernières semaines une approche plus audacieuse sur le dossier syrien par crainte de voir sa « bête noire », le président Bachar Al-Assad, se maintenir au pouvoir avec le soutien de Téhéran et Moscou, selon des diplomates et des experts.
Première puissance régionale sunnite, le royaume saoudien a organisé en décembre une réunion sans précédent de factions politiques et de groupes armés de l’opposition syrienne, hostiles à M. Assad, soutenu militairement par l’Iran chiite et la Russie de Vladimir Poutine.
Peu après, l’Arabie, régulièrement accusée d’alimenter le jihadisme, a surpris tout le monde en annonçant la formation d’une coalition de 34 pays majoritairement musulmans sunnites pour combattre le « terrorisme ». Au même moment, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir faisait état de « discussions », notamment entre des pays du Golfe, sur l’envoi éventuel de « certaines forces spéciales en Syrie ».
Cette stratégie de Ryad est « liée à l’Iran », assure un diplomate étranger, même si l’analyste saoudien Jamal Khashoggi considère que le début il y a trois mois des frappes aériennes russes en Syrie a « aussi dynamisé la situation ». Pour l’heure, la « coalition islamique antiterroriste » annoncée par Ryad n’est pas structurée pour lancer des opérations militaires et certains pays ont même clairement indiqué que leur soutien n’était que politique.
Ryad ne prendra la tête du combat contre le groupe Etat islamique (EI) « que si la situation politique post-conflit en Irak et en Syrie affaiblit l’influence de (son rival) l’Iran » et que les sunnites dans ces pays sortent renforcés, prévient l’Eurasia Group, basé aux Etats-Unis.
L’Arabie saoudite dénonce régulièrement des « ingérences » iraniennes en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen. Ces inquiétudes sont devenues plus explicites encore après l’accord nucléaire conclu en juillet entre l’Iran et les grandes puissances. La levée des sanctions internationales contre Téhéran, qui devrait découler de l’accord, « a peut-être stimulé » les Saoudiens, estime un diplomate d’un pays occidental.
Du coup, ils cherchent maintenant à « rassembler leurs amis et leurs alliés », note un autre diplomate étranger. Tout au long de l’année, des responsables de pays du Golfe se sont d’ailleurs inquiétés du désengagement de Washington vis-à-vis des pays arabes. « Le sentiment général semble être le suivant: si vous voulez obtenir des résultats, vous ne pouvez pas compter sur les autres », explique encore le diplomate occidental, ajoutant que la compétition régionale avec l’Iran joue un « rôle énorme » dans l’opposition saoudienne à M. Assad.
« Fosse d’aisances »
Lundi à Téhéran, le porte-parole des Affaires étrangères a indiqué que des « efforts diplomatiques » étaient en cours pour faciliter un « dialogue direct » entre l’Iran et l’Arabie saoudite sur des différends régionaux. Selon l’analyste Jamal Khashoggi, l’Arabie saoudite se montre « très active parce que le conflit syrien approche de ce qui semble être une conclusion et qu’on a besoin du royaume en ce moment particulier ». Le diplomate occidental qualifie de son côté la Syrie de « fosse d’aisances » qui déstabilise la région et le monde entier.
« Si vous n’aviez pas la Syrie, il n’y aurait peut-être pas l’EI », estime-t-il. L’unification de l’opposition syrienne et la formation d’une « coalition antiterroriste » reflètent une politique étrangère saoudienne plus affirmée depuis l’avènement du nouveau roi Salmane. Le souverain a pris la tête du royaume en janvier à la mort de son demi-frère Abdallah et a aussitôt nommé son fils, Mohamed, âgé d’une trentaine d’années, vice-prince héritier et ministre de la Défense. En mars, l’Arabie saoudite a formé une coalition qui est entrée en guerre au Yémen pour tenter de défaire des rebelles accusés de liens avec l’Iran.
Alors que certains pays, y compris occidentaux, seraient prêts à s’adapter à une situation où M. Assad continuerait à jouer un rôle en Syrie en dépit de ses responsabilités dans la guerre, l’Arabie saoudite continue d’affirmer que le président syrien devra partir « par la négociation ou par la force ». Après son départ, le royaume saoudien entrevoit une Syrie « plurielle et démocratique », sans interférence iranienne, affirme M. Khashoggi.
AFP