Le réalisateur Tom Gormican revisite le nanar Anaconda de 1997. Pourquoi faire? Et surtout : pourquoi refaire? On fait le point sur les remakes.
Plus connus que les originaux
Découvrir qu’un film est un remake, c’est une surprise : on peut l’aimer toujours, mais on se sent comme quelqu’un qui s’extasie sur une chanson en découvrant qu’il s’agit d’une reprise. Scarface (Brian De Palma, 1983) a colonisé l’imaginaire pop au point d’écraser sa source, alors qu’il réinvente le Scarface signé Howard Hawks de 1932. Sauf qu’entre Tony Camonte (Paul Muni) et Tony Montana (Al Pacino), c’est le second qui aura droit à pléthore de remakes… en musique (dans le rap).
Le phénomène se répète, et parfois à notre insu : True Lies (James Cameron, 1994), action et humour au lance-flammes, vient de La Totale! (Claude Zidi, 1991); Twelve Monkeys (Terry Gilliam, 1995) popularise une trame très librement inspirée de La Jetée (Chris Marker, 1962), Gilliam allant jusqu’à dire qu’il n’avait pas visionné le film de Marker pendant la réalisation, pour éviter de refaire ce qui a été fait. Cape Fear (Martin Scorsese, 1991) imprime De Niro en psychopathe tatoué et fait oublier Cape Fear (J. Lee Thompson, 1962), tout en s’offrant le luxe d’inviter Robert Mitchum et Gregory Peck à des caméos à contre-emploi.
Et quand une adaptation devient «la» version, elle gomme même quasiment ses précédentes incarnations : 1984 (Michael Radford, 1984) a éclipsé l’adaptation de 1956; Ben-Hur (William Wyler, 1959) a relégué dans l’ombre Ben-Hur (Fred Niblo, 1925), alors que le film aux onze Oscars était déjà… une deuxième version!
The Fly (David Cronenberg, 1986) a marqué les esprits si fort que The Fly (Kurt Neumann, 1958) ressemble désormais à une carte postale un peu datée. Ce jeu de cache-cache embrouille la mémoire : on applaudit une œuvre en croyant assister à une naissance, alors qu’on regarde une renaissance, souvent mieux tombée dans l’époque, mieux vendue ou mieux mythifiée. L’original devient un repère dans le temps qu’un public curieux ira déterrer.
Réactualisations et multiples versions
Le cinéma adore les histoires robustes : il les déplie, les repeint, comme on remet un classique au goût du jour ou parfois par amour, parfois par peur d’arriver en retard. King Kong est le baromètre nickel. King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) éblouit encore par sa poésie stop-motion; le remake produit par Dino De Laurentiis en 1976 plaque le mythe sur les années 1970, pétrole, démesure et modernité, avec cette profession de foi bravache : «No one cry when Jaws die. But when the monkey die, people gonna cry.»
Signe des temps, le singe grimpe au World Trade Center, là où il s’accrochait à l’Empire State Building en 1933; et King Kong (Peter Jackson, 2005) reviendra comme un hommage XXL, nourri d’effets numériques vertigineux. Chaque époque façonne son Kong : fable sur la Bête enchaînée, miroir de l’impérialisme ou grand spectacle nostalgique.
«Remaker», c’est aussi déplacer le sous-texte pour le rendre brûlant. War of the Worlds (Byron Haskin, 1953) baignait dans la psychose de la guerre froide, où l’invasion pouvait incarner une menace soviétique tombée du ciel; War of the Worlds (Steven Spielberg, 2005) reprend la même trame mais y injecte l’angoisse post-11-Septembre, avec ses foules couvertes de cendres et ses images de catastrophe renvoyant au World Trade Center. Dans le même esprit, The Thing (John Carpenter, 1982), en refaisant The Thing from Another World (Christian Nyby, 1951), troque l’allégorie anticommuniste pour une paranoïa organique où l’ennemi peut être n’importe qui, et où la confiance fond plus vite que la neige.
À l’autre extrême, certains remakes jouent les photocopieuses de luxe : Psycho (Gus Van Sant, 1998) reconstruit plan par plan Psycho (Alfred Hitchcock, 1960), en couleurs, comme une expérimentation; Van Sant reconnaîtra l’échec; un monstre de cinéma pareil ne se clone pas. Et puis il y a les appropriations qui cartonnent: The Departed (Martin Scorsese, 2006) transpose Infernal Affairs (Alan Mak et Andrew Lau, 2002) dans le Boston irlando-américain, si efficacement que beaucoup oublient l’original, pourtant excellent.
Aussi, l’actualisation peut n’être qu’un lifting technique : The Lion King (Jon Favreau, 2019), comme d’autres Disney en versions «films», impressionne par sa faune photoréaliste, mais manque de plus-value narrative – bel emballage, émotion sous verre.
Films improbables et «autoremakes»
Parfois le remake n’attend même pas que l’original refroidisse : Hollywood rachète et remonte. The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher, 2011) arrive en beaucoup mieux deux ans après la version suédoise (Niels Arden Oplev, 2009), grosse production et Rooney Mara en Lisbeth Salander pour capter la vague scandinave.
Même sprint pour Ju-on (Takashi Shimizu, 2002), adapté en The Grudge (Takashi Shimizu, 2004) – le même réalisateur tourne son histoire deux fois, une fois en japonais, une fois en anglais. Dans la famille des «autoremakes», Michael Haneke refait Funny Games (1997) en Funny Games U.S. (2007), comme pour dire que son film originel est encore plus pertinent dix ans après, donc s’il faut le revoir autant le refaire. Alfred Hitchcock rejoue The Man Who Knew Too Much (1934) en The Man Who Knew Too Much (1956) et tranche : «Disons que la première était l’œuvre d’un talentueux amateur, la seconde celle d’un professionnel».
Les transpositions culturelles, quant à elles, donnent des trucs bizarres. Just Visiting (Jean-Marie Poiré, 2001) refait Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993) toujours avec Jean Reno et Christian Clavier, mais tout se perd dans l’Amérique contemporaine, ce n’est pas «OK» du tout; Clavier lâchera que «les Américains ne comprennent rien à l’humour français». Même malentendu pour Mixed Nuts (Nora Ephron, 1994), remake de Le Père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982) : gros flop. Problème de langues? Il est préférable de voir les films dans leur version originale, dans tous les sens du terme.
D’autres concepts voyagent à vitesse supersonique : Starbuck (Ken Scott, 2011) engendre deux remakes en 2013, Delivery Man (Ken Scott, 2013) avec Vince Vaughn, et Fonzy (Isabelle Doval, 2013) avec José Garcia. Et puis il y a le recyclage malin : Joe D’Amato détourne l’aura d’Emmanuelle via ses Black Emanuelle, puis force le trait avec Caligula : The Untold Story (1982), décalque de Caligula (Tinto Brass, 1979). Et puis les auteurs eux-mêmes rejouent parfois leur partition : Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1987) reprend et amplifie son Evil Dead de 1981, semi-suite, semi-remake, preuve que la frontière entre redite et variation peut tenir à une tronçonneuse, mais aussi à un meilleur budget.
Le recyclage des bas-fonds
Tous les remakes ne sont pas des renaissances, certains ressemblent à des copies, et la formule de Karl Marx selon laquelle l’histoire se répète peut s’appliquer ici : «la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce». Dans l’horreur, les années 2000-2010 ont multiplié les retours sans inspiration : cette fois, c’est Brian De Palma qui est «remaké» avec Carrie (Kimberly Peirce, 2013), film qui ne retrouve pas son malaise corrosif. Poltergeist (Gil Kenan, 2015) empile les effets numériques là où Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) faisait frissonner avec trois fois rien.
Friday the 13th (Marcus Nispel, 2009) réactive Jason et son masque de hockey comme un produit calibré, aussitôt vu, aussitôt zappé. Le remake peut aussi se saborder en voulant «corriger» l’original. Total Recall (Len Wiseman, 2012), en revenant à We Can Remember It for You Wholesale de Philip K. Dick, abandonne le délire satirique du film de Paul Verhoeven sorti en 1990 : plus de Mars, moins d’ironie, un futur sérieux qui se prend les pieds dans son sérieux – explosions high-tech, mais humour évaporé.
Même sort pour The Pink Panther (Shawn Levy, 2006), incapable de retrouver la grâce absurde de l’ère Peter Sellers : quand le comique est une alchimie, le reproduire au gramme près ne marche pas mieux que cloner un soufflé.
Et puis il y a les remakes qui osent toucher aux monuments et se brûlent les ailes. Certains titres résistent même avant d’exister : on a longtemps annoncé un remake de The Crow (Alex Proyas, 1994), sans parvenir à rallumer la flamme d’un film culte et tragiquement endeuillé. Tout n’est pas condamnation : Night of the Living Dead (Tom Savini, 1990) réinterprète Night of the Living Dead (George A. Romero, 1968) avec de meilleurs maquillages et une héroïne forte, Romero y voyant aussi un moyen de reprendre la main sur des droits perdus.
Pour boucler l’année 2025, Tom Gormican livre un remake d’Anaconda de Luis Llosa sorti en 1997. On peut difficilement qualifier ce dernier de «chef-d’œuvre». Le film de Gormican, avec Jack Black et Paul Rudd, est meilleur que l’original. Il a un argument de taille pour un remake : face à son modèle, il choisit la dérision.
Anaconda, de Tom Gormican.