La réalisatrice Marie-Hélène Roux jette une lumière crue sur les mutilations sexuelles en République démocratique du Congo, inspirée par le combat du Dr Denis Mukwege.
Trois décennies de conflits dans l’est de la République démocratique du Congo et des femmes et filles toujours victimes de mutilations atroces utilisées comme armes de guerre : le film Muganga – Celui qui soigne espère braquer les projecteurs sur cette «crise humanitaire négligée». «La guerre en RDC est une guerre oubliée», déplore le célèbre docteur congolais Denis Mukwege, dont le combat a inspiré cette fiction, lors d’une rencontre à Paris. Ce médecin, prix Nobel de la paix en 2018, a consacré sa vie à soigner les femmes victimes de viols et de mutilations sexuelles au Nord et Sud-Kivu (est du pays).
Viols publics, au couteau ou à la machette, vagins détruits par des tirs à l’arme à feu… Femmes et enfants sont suppliciés par les groupes armés qui se battent pour le contrôle des minerais, abondants dans la région. La réalisatrice française Marie-Hélène Roux, qui porte ce projet depuis dix ans, a porté à l’écran la vie du Dr Mukwege mais également celle du chirurgien belge Guy-Bernard Cadière (incarné par Vincent Macaigne), qui depuis l’hôpital de Panzi à Bukavu ont soigné d’innombrables femmes. Le film confronte brutalement le spectateur à l’horreur mais raconte aussi une histoire de résilience et de lutte pacifique contre la barbarie.
«Se poser les bonnes questions»
«Là où les politiques ne peuvent plus avancer, ou ne veulent plus avancer, c’est l’art qui doit prendre le flambeau», plaide l’acteur ivoirien Isaach de Bankolé, qui incarne le Dr Mukwege à l’écran. Car dans l’est de la RDC, «malheureusement, il n’y a pas beaucoup de changement depuis trois décennies», insiste Denis Mukwege. «En 2023, les Nations unies ont recensé 123 000 victimes de violences sexuelles», s’émeut-il. Et ces victimes sont de «plus en plus» jeunes : à l’hôpital de Panzi, près d’un tiers des accouchements «concernent des enfants», de jeunes adolescentes qui ont été violées et bien souvent abandonnent leur bébé, se désole encore Denis Mukwege.
Là où les politiques ne veulent ou ne peuvent plus avancer, c’est l’art qui doit prendre le flambeau
Isaach de Bankolé, acteur
Le film dénonce aussi l’aveuglement du monde face à l’atrocité des actes commis. «Chaque semaine, nous avons des images, sur les réseaux sociaux, des massacres, mais il n’y a personne qui en parle», s’indigne le docteur. Décoré de nombreux prix, interviewé des centaines de fois, Denis Mukwege espère cette fois-ci toucher le monde grâce à la fiction. Le film «peut amener les gens à se poser les bonnes questions, qu’ils ne se poseraient jamais devant un film documentaire ou des images réelles où la tendance serait tout simplement de se barricader, de dire : « Je ne vois rien, c’est trop dur, c’est choquant, on arrête là »», espère le médecin.
Des corps comme «champ de bataille»
«On peut exploiter les minéraux sans que le corps des femmes soit un champ de bataille», insiste Isaach de Bankolé, espérant que le film pousse les politiques à agir. Denis Mukwege n’est plus retourné à l’hôpital de Panzi depuis janvier 2025 et la prise de l’aéroport de Goma par le groupe armé du M23 qui, soutenu par le Rwanda voisin, s’est emparé de pans entiers des Kivus nord et sud. Après des décennies face à l’horreur, le médecin, qui est aussi pasteur, dit tenir grâce à la «résilience» des femmes.
«Si ces femmes continuent à avoir de l’espoir, à aimer, après avoir subi tout ce qu’elles subissent, qu’elles ont encore cette capacité de dire « je vais faire des études de médecine, d’anesthésie, d’infirmière pour aider les autres »… Moi, je ne peux que les accompagner», confie-t-il. «À chaque fois que je vois une femme qui a subi l’indicible être capable de se mettre debout et commencer à soutenir les autres, je suis très impressionné», poursuit-il. Avant de conclure : «Je ne trouve pas ce niveau d’altruisme chez nous les hommes».
Muganga – Celui qui soigne,
de Marie-Hélène Roux.