C’était inespéré : quasiment vingt ans après l’avoir promis, Nas et DJ Premier, deux légendes du hip-hop, sortent Light-Years. Un album à quatre mains qui fait tout bien et évite les relents trop nostalgiques. Ça valait le coup d’attendre!
Atelier, Luxembourg, le 23 novembre dernier. Sur scène, deux vétérans du hip-hop. Planté derrière ses machines, The Alchemist, 48 ans, est l’un des grands producteurs de ces trois dernières décennies (on lui doit notamment cette année, avec Freddie Gibbs, Alfredo 2). Mais malgré sa réputation, il n’arrive pas encore à la hauteur du grand costaud à ses côtés : DJ Premier, bientôt soixante ans, fait en effet figure de légende dans le milieu. Moitié du groupe Gang Starr (avec Guru, décédé en 2010), il a signé des tubes en pagaille pour Drake, Eminem, Mos Def, Jay-Z, KRS-One, Notorious BIG… L’inventaire est long. Il suffit de voir les morceaux qui s’enchaînent durant près d’une heure et demie pour reconnaître l’ampleur du phénomène. Toutefois, sur la liste, il manquait un morceau à l’appel, probablement l’un des plus connus : N.Y. State of Mind.
Une sorte d’alarme, un rythme qui claque, une basse qui glisse, vite appuyée par un piano… Le titre est le symbole d’un album phare de 1994, Illmatic, devenu depuis un classique, imposant au passage Nas, rappeur originaire de Queensbridge, âgé de 21 ans à l’époque, comme l’une des belles promesses du rap de la côte est. Il scelle également un tandem aussi inspiré que complémentaire – sur le disque, «Preemo» signe également Memory Land et Represent. Malgré tout, les deux hommes ne feront que se croiser durant les années suivantes, brèves rencontres matérialisées par une poignée de sons moins mémorables que les premiers, avec même quelques étrangetés dans le lot (le titre Re:Generation, avec l’orchestre symphonique de Berklee).
Des légendes de New York
C’est finalement chacun de leur côté qu’ils construiront leur propre mythe, l’un aux platines, l’autre au micro. Entre les deux, le fan, lui, ne désespère pas, persuadé qu’un jour, le tandem remettra le couvert ensemble sur un long format. Un espoir entretenu par le duo lui-même… depuis 2006, suite à une interview de Nas donnée au magazine Scratch. D’année en année, les rumeurs et qu’en-dira-t-on vont alors faire de ce projet l’une des arlésiennes les plus tenaces du rap américain. Il faudra attendre 2024 et les trente ans de l’iconique Illmatic pour le voir se concrétiser à travers un petit morceau, Define My Name.
Quelques semaines plus tard, la confirmation tombe : l’album tant désiré sortira en décembre 2025, juste avant Noël, sous l’égide du label Mass Appeal de Nas, dans le cadre de la série «Legend Has It» dédiée aux pionniers du rap de New York. Six albums au parfum nostalgique mais sans naphtaline vont ainsi voir le jour, ressuscitant des noms qui comptent (Slick Rick, Raekwon, Ghostface Killah, Mobb Deep, Big L et De La Soul). Le septième, lui, cerise sur le gâteau, conclut l’affaire. Et il le fait avec brio : Light-Years, rassemblant quinze titres de belle tenue, fait tout bien, combinant de vieux morceaux (pour certains conçus il y a plus de vingt ans) et d’autres plus récents. Un mélange qui pourrait définir son ADN : le disque n’a en effet rien de passéiste, et même s’il rend hommage au hip-hop «old school», avec la Big Apple en toile de fond, il n’a rien de dépassé.
Un voyage entre passé et présent
Cette science de l’équilibre, de l’écriture à l’os et de la production sans remplissage tient sûrement à ces deux créateurs. D’un côté, Nas confirme la bonne forme de son flow depuis la crise sanitaire (visible à travers la double trilogie King’s Disease et Magic). Ainsi, il n’en fait jamais trop dans cette traversée intime et universelle de la culture rap, dans laquelle il met à l’honneur, entre autres, les graffitis et les amis disparus. Preuve qu’il maîtrise : à ses côtés, on ne trouve qu’un seul invité, AZ, complice historique du New-Yorkais (sur My Story Your Story).
Que dire alors de la performance de DJ Premier, lui aussi d’une rigueur sans pareille. Sur des samples fluides, jamais tape-à-l’œil, il prouve une fois de plus que les scratches ne sont pas de simples ornements ou de l’esbroufe technique, mais servent l’écriture, jusqu’à lui apporter une voix supplémentaire. Coupes précises au couteau et percussions «boom-bap» complètent l’offrande, à voir comme un voyage entre le passé et le présent. Oui, le tandem joue sur le fil du temps : un pied dans l’âge d’or des années 1990, l’autre dans une ère nouvelle où ils ont toujours leur place. Au bout, une authentique masterclass qui, humble, ne figurera pas dans les classements de fin d’année. Elle préfère avoir sa place au pied des sapins, joliment emballée. Elle devait bien ça aux auditeurs, après tant d’années d’attente.
Light-Years,
de Nas & DJ Premier.