La Ville de Differdange innove en ouvrant, avec la fondation Jugend- an Drogenhëllef, une colocation encadrée pour six personnes au passé marqué par la dépendance aux stupéfiants.
Unique dans le pays, le projet Mini-Vito-Home est sur le point de se concrétiser à Differdange, après une procédure express de six mois et le feu vert du conseil communal obtenu le 10 décembre.
Porté par la fondation Jugend- an Drogenhëllef (JDH), il répond à un nouveau besoin face au vieillissement progressif des usagers de drogue nécessitant une prise en charge médicale et sociale quotidienne.
Julie Quintus, cheffe du service Vito à la JDH, nous dévoile les détails du concept, aux côtés de Charles Berrang, chef du service Logement de la Ville de Differdange, et de Jerry Hartung, échevin (CSV).
Où ces logements encadrés se trouvent-ils?
Charles Berrang : Dans la tour Gravity. Il s’agit de louer deux appartements conventionnés dans le cadre du logement abordable. La commune est promoteur social dans ce projet et la JDH, bailleur social.
Nous avons deux autres projets sociaux en parallèle, mais c’est la première fois qu’on travaille avec un bailleur social pour des logements dédiés. Il y a trois chambres par appartement, donc ils seront six locataires à emménager à partir de début janvier.
Comment est né ce partenariat avec la Jugend- an Drogenhëllef?
Charles Berrang : Initialement, on avait équipé ces habitations pour accueillir des personnes à mobilité réduite. Elles auraient dû servir d’hébergement de transition à des patients en convalescence. Malheureusement, l’hôpital avec lequel on était en contact n’a pas obtenu le financement escompté et s’est retiré.

Le projet a été salué à tous les niveaux à la commune, même par l’opposition, indique Charles Berrang. (Photo : julien garroy)
Jerry Hartung : Sachant qu’il existe une pénurie de ce type d’habitation PMR sur le marché, il aurait été irresponsable de ne pas les utiliser pour ce public spécifique. Il nous a paru indispensable de trouver un nouveau partenaire issu du secteur social, pour valoriser l’investissement important réalisé pour aménager ces logements.
Charles Berrang : Nous avons lancé un appel cet été via la FEDAS et on a reçu six candidatures, toutes intéressantes. Si nous avons choisi la JDH, c’est parce que les bénéficiaires de ce projet correspondaient parfaitement aux équipements proposés.
Depuis 1986, la JDH propose des aides psychosociales, thérapeutiques et médicales aux consommateurs de drogues illégales, aux personnes dépendantes et à leurs proches. Ses équipes tentent de répondre aux situations, intérêts et besoins de différents publics cibles, à travers différents services. Près de 80 collaborateurs quadrillent le territoire, entre Luxembourg, Esch-sur-Alzette, Ettelbruck et Echternach.L'action de Jugend- an Drogenhëllef
Quels sont les besoins des futurs locataires?
Julie Quintus : Notre service «Les Niches» accompagne depuis 25 ans déjà des consommateurs de drogues, actuels ou anciens, en mettant des appartements à leur disposition dans le cadre d’un suivi à long terme. Mais, à partir de 40 ans, leurs besoins en soins médicaux s’intensifient.
D’où la création, il y a deux ans, du service Vito, pour une prise en charge quotidienne de ces personnes qui ont des troubles cognitifs, des maladies chroniques et une autonomie réduite.

Julie Quintus souligne que la toxicomanie n’est plus au centre de la vie de ces personnes aux besoins médicaux grandissants. (Photo : julien garroy)
La toxicomanie n’est plus au centre de la vie de ces gens. Ils cherchent au contraire la stabilité et une vie réglée. C’est leur état de santé qui guide notre intervention : on parle d’une population vieillissante, alors qu’ils ont à peine 40 ans, car leur parcours de consommation a laissé des séquelles physiques.
Leur santé est fortement dégradée : les six futurs résidents ont besoin de soins à domicile et/ou sont reconnus comme personnes handicapées. Nous assurons une présence journalière, avec des permanences le week-end, en leur permettant de vivre de manière indépendante.
Aucune structure n’est adaptée au Luxembourg?
Julie Quintus : Les structures classiques pour personnes âgées, comme celle ouverte récemment à Berbourg, qui dispose de 22 lits pour des résidents en situation précaire, ne correspondent pas à ce public ou ne l’acceptent pas. Il devient donc urgent de proposer des formes de logement alternatives.
D’anciens toxicomanes dans un immeuble d’habitation familial : cela aurait pu inquiéter la commune.
Charles Berrang : C’est notre relation de confiance avec la JDH, qui gère d’autres logements à Differdange, qui a aussi pesé. Et, bien sûr, l’encadrement était un volet important. La JDH a su nous rassurer sur ce point. Présenté en commission puis au conseil communal, le projet a été salué à tous les niveaux, y compris par l’opposition.
En quoi consiste cet encadrement?
Julie Quintus : Concrètement, les locataires vont s’installer deux par deux, à partir de janvier. Nos équipes seront à leurs côtés : les auxiliaires de vie et aides-soignantes pour effectuer différentes tâches de la vie courante (courses, repas, ménage), les infirmières pour se rendre chez le médecin, les assistantes sociales pour les informer sur leurs droits et gérer avec eux leurs finances. C’est un accompagnement intensif. On est là tous les jours.
Ce modèle pourrait-il servir pour d’autres structures?
Julie Quintus : Oui. L’idée, c’est de tester cette configuration, d’où le terme «Mini»-Vito-Home. À l’avenir, il faudra élargir ce genre de structure, car les besoins vont s’accroître.
Ce projet de colocation, s’il réussit, pourrait servir de base à la création d’autres structures similaires ailleurs sur le territoire national.
Vito est une abréviation pour «vieux toxicomanes» et désigne un groupe de personnes, âgées de 40 ans et plus, qui présentent une ou plusieurs des caractéristiques suivantes :
- longue histoire de consommation de substances
- vieillissement prématuré
- comorbidités et fragilité
- précarité socio-économique
- contacts sociaux limités
- exclusion/marginalisation
Cet âge charnière n’a pas été choisi au hasard : dans tous les pays européens, on constate que les personnes concernées présentent des signes de vieillissement prématuré à partir de 40 ans, conséquences d’années de consommation et d’un mode de vie décousu. Aux fragilités physiques et psychiques s’ajoutent souvent une précarité financière et un grand isolement social.
Avec l’accompagnement global du service Vito, les personnes retrouvent une autonomie et une qualité de vie optimales.