Les films de Noël, ce sont des rendez-vous autant qu’une recette de cinéma qui se décline à l’infini. Rembobinage sous la neige.
Le père Noël n’est pas une ordure
Le cinéma n’a pas attendu longtemps pour faire de Noël un décor idéal. Dès 1898, Santa Claus de George Albert Smith filme un père Noël qui passe par la cheminée pour distribuer les cadeaux. Deux ans plus tard, Méliès livre Le Rêve de Noël, où s’enchaînent les apparitions magiques, les enfants endormis et les sapins garnis; ce n’est pas vraiment une histoire, c’est plutôt une collection d’images enchantées. Le ton est donné : Noël est une féerie.
Dans les années 1930, Disney ajoute sa touche : Santa’s Workshop (1932) montre un atelier qui s’active en cadence, entre lutins joyeux et jouets dansants. Après-guerre, Hollywood passe à la vitesse supérieure. It’s a Wonderful Life (Frank Capra, 1946) fait de Noël un moment de bascule : George Bailey touche le fond, mais l’amitié et l’amour familial le ramènent enfin à la lumière. White Christmas (Michael Curtiz, 1954) déploie l’imagerie rouge et dorée, devenue standard du genre.
À l’écran, Noël est une machine à consolation. Miracle on 34th Street (George Seaton, 1947), The Muppet Christmas Carol (Brian Henson, 1992) ou The Polar Express (Robert Zemeckis, 2004) cultivent tous cette chaleur familière. Les comédies aussi s’y plient : Home Alone (Chris Columbus, 1990) met en scène un petit garçon qui, après avoir protégé sa maison de deux stupides cambrioleurs, se réconcilie avec sa famille, pendant que Le père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982), derrière son humour noir, reste fidèle au décor traditionnel, même si le bon vin vire au vinaigre.
Peu importe le ton finalement, Noël, c’est une fête visuelle, calibrée pour le spectacle. Très vite, un autre ingrédient s’ajoute : la morale. Les premières adaptations d’A Christmas Carol de Dickens fixent une trame éternelle : un personnage brisé, une nuit d’épreuves et un «happy end». Noël, c’est une chance de recommencer. Sous les flocons, il y a ce besoin tenace de croire qu’en une soirée tout peut changer.
Familles sous pression
Si Noël rassemble, c’est souvent pour mieux faire éclater les tensions. Sur grand écran, la réunion familiale tourne au règlement de comptes, et la comédie devient une vraie chambre d’écho pour les rancunes anciennes. Dans Un conte de Noël (Arnaud Desplechin, 2008), un réveillon autour d’une greffe devient un champ de bataille psychologique : les non-dits et les rancunes flottent entre les assiettes. Même chose dans La Bûche (Danièle Thompson, 1999), où trois sœurs se retrouvent pour un dîner qui déborde en reproches acides; la dinde froide peut à tout moment finir en projectile.
Ce sous-genre repose sur une mécanique simple : tout le monde se retrouve parce que c’est Noël, tout le monde est censé être heureux, sauf que non. Le décor ne change pas (sapin, guirlandes et bougies), mais la chaleur attendue se grippe comme si le rendez-vous provoquait l’implosion. Trinquer revient à casser des verres. Chacun y arrive avec son dossier émotionnel sous le bras : vieilles blessures, jalousies de fratrie et compagnie. Dans The Family Stone (Thomas Bezucha, 2005), c’est une simple rencontre familiale qui tourne au chaos affectif; dans Love the Coopers (Jessie Nelson, 2015), les personnages jouent leur rôle comme dans une pièce qu’ils n’ont pas choisie. Le repas est moins une célébration qu’un procès. Dans ces films, l’humour découpe les rituels de fête pour mieux révéler la pression sociale qui les habite.
Certains récits poussent la logique plus loin. Dans The Ref (Ted Demme, 1994), un cambrioleur se retrouve piégé dans une maison où un couple est en guerre : il devient alors le spectateur impuissant d’un désastre en cours. Le chaos n’est pas causé par l’intrus, mais révélé par sa présence. Au fond, ces comédies amères ne cherchent pas à détruire Noël, elles grattent la surface; elles montrent que la fête impose des rôles trop serrés, que la famille est un terrain miné de souvenirs mal digérés. Et que le rire peut être une façon efficace de survivre à ce moment où tout le monde a l’air d’aller bien.
Ça sent le sapin
Dans certains films, l’esprit de Noël bascule en cauchemar : le père Noël fait frissonner de peur et la neige étouffe les cris. Black Christmas (Bob Clark, 1974) ouvre la voie : derrière les guirlandes d’une fête étudiante, un tueur masqué vient casser l’ambiance. Krampus (Michael Dougherty, 2015) convoque une créature démoniaque venue punir les enfants indisciplinés; Silent Night (Steven C. Miller, 2012) rhabille le serial killer en père Noël; Bad Santa (Terry Zwigoff, 2003) transforme le vieux bonhomme sympathique en type alcoolique et cynique donc pathétique.
L’humour macabre se mêle à la violence et un film comme Terrifier 3 (Damien Leone, 2024) en est l’exemple outrancier : le clown Art reprend du service le 25 décembre, en peignant Noël en rouge, rouge sang. Quant à Silent Night, Deadly Night (Charles E. Sellier Jr., 1984), il franchit les lignes rouges de la morale : la violence graphique du père Noël en tueur provoque des protestations; quand le film sort, il faut comprendre qu’il sort aussi des salles.
Ces histoires ne jouent pas seulement avec les codes, ils les renversent : en substance, le feu de cheminée devient une menace; le sapin est dangereusement piquant; les chants d’enfants forment une boucle inquiétante. La nuit tombe bien trop tôt et la ville est bien trop vide. Si Noël est censé tout réparer, il suffit qu’un élément déraille pour que l’ensemble devienne suspect. Le film d’horreur s’engouffre dans cette brèche : ce n’est pas juste un monstre sous le sapin, c’est l’angoisse qui filtre par les fissures du décor. Ce que la fête promet, la chaleur, l’unité, l’apaisement, devient pile ce qui oppresse. Le fantastique, quant à lui, matérialise cette pression sous forme de malédiction; la magie devient sortilège.
Les navets de Noël
Et puis il y a les films de Noël qui semblent avoir été écrits un soir de gueule de bois, montés à la va-vite. Des navets plus ou moins involontaires. Exemple : Santa Claus (René Cardona, 1959), où le père Noël affronte Lucifer dans l’espace, avec l’aide de Merlin. Le genre pullule de suites médiocres, de productions direct-to-video et de scripts bricolés à l’arrache à côté de la cheminée, comme Jingle All the Way 2 (Alex Zamm, 1996), Deck the Halls (John Whitesell, 2006) et un paquet d’autres.
En Italie, le cinéma de Noël porte un nom et a son rayon de nanars indigestes (mais parfois marrants) : les «films panettone». Il faut encore mentionner des œuvres d’art telles que Santa’s Slay (David Steiman, 2005), où un catcheur tueur joue le père Noël, sinon Look Who’s Talking Now (Tom Ropelewski, 1993), avec ses chiens parlants.
Là où le film de Noël classique vend du réconfort, du sucre et du miracle, ces longs métrages fauchés font dans le carton-pâte, la barbe qui gratte et le scénario troué. Ils prennent en fait les éléments ultra-codifiés de Noël – sapin, neige, grelots, bons sentiments – et les poussent à l’excès, à l’absurde.
Le plaisir vient justement de cette transparence : ce sont des rafistolages narratifs où l’on voit les coutures, les effets spéciaux sont gros comme une maison, le guimauve déraille en bouffonnerie. Mais ces objets sont aussi, indirectement ou non, des mini-parodies d’un système qui vend de la magie comme une recette. En transformant Noël en slasher, en sitcom, en opé martienne ou en comédie canine, ils montrent que la fête peut tout absorber, y compris le mauvais goût.
Quelque part, ces films agissent comme une sortie de secours dans une période saturée d’images parfaites : sous la guirlande mal accrochée, il y a un antidote au Noël trop bien emballé.