Pour le troisième volet de l’exposition «Bienvenue à la Villa!» consacrée à ses récentes acquisitions, la Villa Vauban met en lumière la peinture luxembourgeoise du XXe siècle.
Jamais deux sans trois : après avoir présenté au public ses acquisitions récentes en mettant l’accent d’abord en 2021 sur les maîtres anciens (notamment néerlandais, l’une de ses préférences), puis, de façon plus inattendue en 2022, sur l’art contemporain avec un intérêt particulier pour la photographie, la Villa Vauban a inauguré le nouveau volet de sa série «Bienvenue à la Villa!» en actant un retour à la peinture, qui se concentre cette fois à travers une soixantaine d’œuvres d’artistes luxembourgeois pour retracer un étonnant panorama – ou plutôt, une «promenade», pour reprendre le titre de son exposition permanente, à travers l’art national tout au long du XXe siècle. L’occasion notamment de découvrir d’un autre œil des artistes emblématiques du pays.
À contre-courant du voyage chronologique, mais sans pour autant s’interdire de regrouper les artistes selon leur époque, l’exposition s’organise autour de sept thématiques dans autant d’espaces du bâtiment.
Naturellement, ce sont deux vues de la capitale peintes au début du siècle dernier par Ernest Wurth qui inaugurent le voyage. Leur présence, pourtant, est doucement trompeuse par rapport à la richesse du contenu exposé dès la salle suivante, dédiée aux «sécessionnistes» – nommés ainsi après une rupture à la fin des années 1920 avec l’académisme de la peinture grand-ducale, alors préservée par le Cercle artistique Luxembourg (CAL) – et aux paysages étrangers qu’ils peignent.
Le lac bavarois et le village d’été désertique représentés par Harry Rabinger (1895-1966) frôlent l’expressionnisme, tandis que la citadelle de Calvi telle que peinte par Jean Schaack (1895-1959) possède une dimension onirique qui évoque Giorgio De Chirico.
Du chef de file des «sécessionnistes», Joseph Kutter (1894-1941), la Villa Vauban fait le (bon) choix de se détourner des œuvres connues pour exposer des «motifs plutôt atypiques», selon la commissaire, Gabriele D. Grawe.
Il est vrai qu’on connaît davantage l’œuvre de Kutter pour ses portraits : une récente exposition au MNAHA les avait mis à l’honneur, et avait éclairé sur sa technique picturale, moins instinctive que nécessitant un travail approfondi avec lequel il a souvent lutté.
Ici, on lui découvre donc un intérêt pour la nature morte et la composition florale, que le peintre expérimente d’abord jeune mais vers lesquelles il reviendra à différentes périodes de sa carrière, comme un exercice obligatoire.
Les différences dans la composition des toiles, dans la représentation des motifs ou des coups de pinceau témoignent de l’importance de telles scènes dans l’évolution et la maîtrise de son art.
Incontournable Wil Lofy
C’est lorsqu’ils s’acoquinent avec les courants artistiques les plus radicaux que les artistes du pays – tels qu’ils sont représentés dans cette rétrospective – se montrent plus intéressants. Il y a notamment les imposantes Femmes de Nico Thurm (né en 1938), une toile à placer quelque part entre l’exercice de style autour du corps en mouvement et la peinture grand format héritée du futurisme.
Mais c’est surtout avec les œuvres de Wil Lofy (1937-2021) que l’exposition atteint un premier point d’orgue. L’artiste eschois, que l’on connaît surtout pour ses sculptures – dont la célèbre fontaine Hämmelsmarsch, située à l’entrée de la Grand-Rue à Luxembourg –, se révèle sous une autre lumière à travers une curieuse série de portraits cubistes tout en formes et en couleurs.
Des femmes, pour la plupart, rarement habillées : Lofy gardera un style similaire, mais aux motifs bien plus osés, avec une série de scènes érotiques, dont la Villa Vauban expose quelques exemples, «les plus inoffensifs» glisse la commissaire, mais pas les moins sauvages.
Surprise : ces délirantes orgies surréalistes font face à une autre série du même artiste, qui donne elle à voir sa façon de se réapproprier les natures mortes.
D’un tableau à l’autre, les bouquets de fleurs sont progressivement détournés, réinventés, rêvés; paradoxalement, les scènes deviennent vivantes – grâce aussi à des arrière-plans bariolés, reprenant les motifs pop des tapisseries vintage qui donnent à de telles œuvres toute leur saveur.
Abstractions monumentales
Dans les dernières salles, on se rapproche de l’idée contemporaine d’un art abstrait où forme, matière et texture se fondent en une seule et même expression, à l’image des œuvres d’Annette Weiwers-Probst – par ailleurs témoin de la présence toujours plus importante de femmes dans le paysage artistique luxembourgeois dès la seconde moitié du XXe siècle.
Percutantes, les deux toiles monumentales de Roger Bertemes (1927-2006) : Mutation… mutation (1979), tente de retransmettre le fascinant mouvement d’un objet non identifié (on pense à un scooter), tandis que Du temps / les neiges et les lumières / recouvrent / les visages meurtris (1996) présente une image étrangement macabre perdue dans un fond blanc.
Dans les deux cas, Bertemes travaille la densité du mouvement et du flou pour construire des images puissantes, que l’usage minimaliste mais ciblé de la peinture rouge finit d’imprimer en mémoire.
Il est évident que le troisième volet de «Bienvenue à la Villa!» oublie quelques noms au passage, mais là n’est pas la question. En présentant ces nouvelles acquisitions, le musée réussit à poser un regard unique sur l’art luxembourgeois au XXe siècle, entre histoire officielle, raretés et réhabilitations.
La présence à peine perceptible de la sculpture, représentée par une œuvre de Bettina Scholl-Sabbatini et quelques édifices monolithiques de Pit Nicolas, évoquant l’histoire sidérurgique du pays, pourrait alors donner un indice sur ce que pourrait être le prochain épisode de l’exposition.
Jusqu’au 17 mai 2026. Villa Vauban – Luxembourg.
Villa Vauban «on ice»
À la fois tradition et premier cheval de bataille de la Villa Vauban, la peinture néerlandaise du «Siècle d’or» (puis de sa redécouverte tardive au XIXe siècle) garde une place de choix sur ses murs.
Voilà que la collection du musée s’enrichit de trois nouvelles acquisitions, présentées depuis mercredi dans une salle dédiée, sous le titre commun – et de saison – «Les plaisirs de la glace».
«Jusqu’à présent, il n’y avait qu’un paysage d’hiver dans notre collection de peintures néerlandaises», précise le directeur du musée, Guy Thewes : Rivière gelée avec patineurs, huile sur bois signée Andreas Schelfhout (1787-1870), est l’une des pièces marquantes de l’exposition permanente du musée.
Et une curiosité, à l’échelle du legs historique de Jean-Pierre Pescatore, qui avait acquis l’œuvre en 1850 auprès du roi Guillaume II des Pays-Bas. Auteur d’«une vingtaine de scènes hivernales en petit format», Schelfhout en est un «spécialiste», selon Angelika Glesius.
Pour preuve, son Paysage d’hiver avec moulin à vent et patineurs (1851), dont la récente acquisition a été rendue possible grâce à l’association des Amis des musées d’art et d’histoire, est une merveille de romantisme, de détails et de précision, la commissaire n’hésitant pas à comparer la scène à une «photo».
«Les hivers d’antan étaient bien plus rudes», explique Guy Thewes. En Europe, le «Petit âge glaciaire» a duré de la fin du Moyen-Âge jusqu’au XIXe siècle, inspirant largement les peintres néerlandais, à commencer par Brueghel l’Ancien, «inventeur» du genre avec son Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux (1565).
Les nombreux héritiers du maître flamand se sont particulièrement intéressés à montrer la «sociabilité joyeuse» qui découlait de ce «phénomène qui affectait la vie quotidienne et les loisirs», plutôt que d’en exploiter la misère, raconte Angelika Glesius.
Avec son Paysage d’hiver avec villageois et patineurs, daté de la fin du XVIIIe siècle, Andries Vermeulen (1763-1814) enrichit la «tradition» du genre dans la veine de Brueghel : une échelle de plan rapprochée, des «couleurs brillantes» et un décor désolé qui accable le couple de villageois mais qui, en arrière-plan, fait le bonheur des patineurs.
La plus ancienne des trois œuvres se trouve être aussi la plus curieuse. Parce que Jacob Esselens (1627-1687), un marchand de tissu d’Amsterdam qui a beaucoup dessiné au cours de ses voyages en Europe, n’est arrivé à la peinture que tardivement.
Mais encore parce que son Paysage hivernal avec patineurs (1660), réalisé en plein âge d’or de la peinture néerlandaise, est sa seule scène hivernale.
Une exception, encore, pour «sa palette de couleurs réduite» et ses «silhouettes peu détaillées, presque abstraites», qui confèrent à l’œuvre un caractère presque «moderne».
Les trois tableaux sont à admirer à la Villa Vauban jusqu’au 17 mai 2026.