Artisanat traditionnel d’Afrique de l’Ouest, le panier tressé se vend dans le monde entier à des prix parfois élevés. Irritées, les femmes qui les produisent s’organisent, estimant ne pas en tirer les bénéfices à la hauteur de leur succès.
À l’ombre d’un grand manguier dans une cour ensablée de son village du nord-ouest du Sénégal, Khady Sène tresse en cadence des roseaux, premiers gestes de la confection d’un panier coloré. Comme de nombreux après-midis dans la semaine, elle et une dizaine d’autres femmes se retrouvent autour de cette technique transmise de mère en fille depuis des générations.
Les femmes du village de Mborine ont rarement l’occasion de quitter cette région reculée du Sénégal, mais leurs créations se retrouvent, elles, dans les boutiques de décoration aux États-Unis ou en France. Pour un authentique panier «made in Sénégal», les prix peuvent atteindre des centaines d’euros, sur lesquels les artisanes sénégalaises touchent une part infime.
«Je fais ce travail depuis que je suis née», confie Khady Sène depuis sa cour d’où l’on entend bêler les animaux derrière les murs de parpaing. Ces paniers originaires de villages wolofs du nord-ouest du pays sont tressés avec des roseaux liés par des fils de plastique colorés, autrefois des fibres de palmier. Paniers à linge, boîtes de rangement ou plateaux de présentation : les femmes produisent une variété d’objets tressés qui se vendent sur les bords de routes sénégalaises et dans les marchés artisanaux. «Ceux qui les achètent au marché les prennent à un prix dérisoire, ce qui ne nous permet même pas de couvrir nos coûts», proteste cette mère de 35 ans.
Si un panier à linge se négocie autour de 13 000 francs CFA (20 euros) au marché, ceux exportés à l’étranger – par des intermédiaires – peuvent se vendre au-delà de 150 euros. Khady Sène souhaiterait plus d’aide des autorités pour défendre cet artisanat à l’identité nationale forte et aider les femmes à «vivre de ce travail».
D’autant que, à bien regarder l’étiquette de certains de ces produits dans les magasins occidentaux, ils ont de grandes chances d’avoir été fabriqués au Vietnam, grand producteur de copies. Lors, justement, d’un voyage en 2017, Fatima Jobe, une architecte sénégalo-gambienne découvre avec stupeur un grossiste se présentant comme le plus grand exportateur mondial de vannerie de style sénégalais… bien que fabriquée en Asie.
Ayant déjà des liens avec des tresseuses de paniers, elle décide alors d’agir pour les défendre. «Il y a toutes ces merveilleuses vannières qui sont prêtes à travailler», souligne-t-elle. Quelques années plus tard, elle est désormais propriétaire d’Imadi, une boutique de paniers connue à Dakar, qui travaille avec 260 femmes, dont Khady Sène, dans 15 villages. La plupart des modèles sont ses créations, souvent de couleurs sobres et ornés de cuir, qu’elle parvient à exporter à l’étranger. Certains se veulent traditionnels, comme les paniers à vanner appelés «layu», d’autres sont des innovations. Fatima Jobe ne gagne pas sa vie avec Imadi et a un autre emploi. Mais elle espère un jour faire de ce commerce son gagne-pain.
Ceux qui nous payent à la hauteur de nos efforts sont rares
Elle a mis en place une grille salariale plus élevée, interdit le travail des enfants et a pu financer les écoles des villages. Elle livre elle-même les matières premières directement aux femmes, puis transporte les paniers, leur évitant de perdre du temps sur les marchés. Ceux qui «nous payent à la hauteur de nos efforts» comme Fatima Jobe sont «rares», témoigne Khady Sène. Et le Sénégal manque d’infrastructures et de soutien pour rivaliser avec les grands exportateurs vietnamiens, se lamente Fatima Jobe.
Dans son échoppe le long d’une route nationale poussiéreuse à une trentaine de kilomètres de Mborine, Fatim Ndoye, elle, vend aux touristes des paniers colorés de toutes tailles. Elle les achète aux femmes de la région au marché le lundi : «Les paniers se vendent à des prix dérisoires au Sénégal», estime-t-elle, expliquant qu’elle vend par jour pour 3 000 francs (4,5 euros) de paniers en semaine et 10 000 francs (15 euros) les week-ends. Malgré des marges infimes, ces revenus sont essentiels dans un pays où des milliers de jeunes s’exilent pour fuir les difficultés économiques.
Adama Fall, veuve de 49 ans, parvient à faire vivre sa famille comme coordinatrice pour Imadi et en tressant de grands paniers. Dans son village de Thiembe, plusieurs jeunes hommes sont partis tenter de rejoindre l’Europe en pirogue par la périlleuse route de l’Atlantique. Quatre d’entre eux n’ont pas donné signe de vie depuis cinq ans. Près d’elle dans la cour, sa plus jeune fille joue avec un groupe d’enfants autour des paniers qu’ils ont fabriqués : les coutures sont défaites, des fils de plastique dépassent, mais ils renferment le savoir des générations qui les ont précédés.