Primé cette année dans lors des grands rendez-vous internationaux et même à Hollywood, le cinéma brésilien vit une période dorée. Explications à l’occasion du festival qui lui est consacré cette semaine au Luxembourg.
Dans un sourire qui ne le quitte plus, Hugo Prata, réalisateur et curateur du festival du Film brésilien qui se déroule cette semaine à Luxembourg, lâche : «C’est une année en or» pour le cinéma du Brésil. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur les palmarès des grands festivals internationaux : la moisson a commencé en février avec un Ours d’argent à Berlin remporté par le réalisateur Gabriel Mascaro avec The Blue Trail (O Último Azul), depuis cette semaine sur les écrans. Puis ça s’est enchaîné avec l’Oscar du meilleur film étranger – le premier de son Histoire – obtenu à Hollywood pour I’m Still Here (Ainda Estou Aqui) de Walter Salles. «C’était presque comme pour une Coupe du monde : tout le pays était à fond derrière le film!», se rappelle le cinéaste, tout droit venu de São Paulo.
Dans la foulée, en mai à Cannes, c’est The Secret Agent (O Agente Secreto) de Kleber Mendonça Filho qui repartira de la Croisette avec deux récompenses (ceux de la mise en scène et du meilleur acteur pour Wagner Moura), saluées jusqu’au président Luiz Inácio Lula da Silva qui s’exprimait ainsi sur X : «C’est une journée pour célébrer le bonheur de vivre dans un pays qui compte des géants de cette taille». La cerise sur le gâteau sera enfin posée à la Mostra de Venise, définitivement séduite par Manas de Marianna Brennand (prix de la meilleure réalisation). Cette dernière, dévoilant son long métrage à l’Utopia mercredi soir, a plu jusqu’à Los Angeles et une certaine… Julia Roberts : «Lors d’une présentation au public, elle a dit : « Ce film va changer vos vies »», confie la réalisatrice.
Bolsonaro en prison, le cinéma au diapason
À l’instar d’autres pays, comme l’Argentine ou, plus populaire, la Corée du Sud, le Brésil connaît son «moment» de gloire sur grand écran, dépassant les trop rapides clichés qui le rattachent à ses courts métrages (où il excelle) et les télénovelas, véritables moteurs du secteur audiovisuel. «Ça n’a rien d’un accident ni d’un coup de chance!», bondit Hugo Prata. «C’est le résultat d’années d’investissements dans la culture, financiers et humains.» Mais dans son pays, régulièrement traversé de soubresauts politiques, entre crises économiques, pouvoirs autoritaires, réformes et démocraties fragiles, les efforts peuvent vite être sabordés. En matière d’industrie du cinéma, tout est une question de «cycles», confiait récemment le réalisateur brésilien Karim Aïnouz. «Comme si vous deviez vous arrêter et recommencer à chaque fois. C’est usant…»
Dernier exemple en date : la présidence de Jair Bolsonaro (2019-2023) qui a «fait tout ce qu’il pouvait pour couper le financement» du 7e art en particulier, et celui de la culture en général. «C’était terrible, quatre très longues années… Mais depuis cette semaine, il est en prison!», s’enthousiasme Hugo Prata. Le leader d’extrême droite avait notamment paralysé les aides publiques et réformé les mécanismes de contrôle encadrant la loi de 1991 permettant de défiscaliser les soutiens privés au secteur. Parallèlement, le retour à la tête de l’État de Luiz Inácio Lula da Silva a eu un impact positif «immédiat», intervient Dominique Santana, présidente du festival du Film brésilien. Elle prend un exemple «symbolique» : quand en 2020, le documentaire The Edge of Democracy de Petra Costa s’est retrouvé aux Oscars, le président l’a tout simplement «boycotté». Ça n’a pas été le cas pour Ainda Estou Aqui.
«Il a été soutenu par le gouvernement et la population, relate-t-elle. O Agente Secreto a eu le droit à une projection spéciale au palais du Planalto, et la ministre de la Culture, Margareth Menezes, était présente à Cannes cette année.» Résultat? Le 7e art brésilien a retrouvé son statut «d’industrie» plus importante que celle du textile ou du tourisme, de «grosse machine qui génère d’importantes retombées fiscales et où l’on emploie beaucoup de gens». Ainsi, selon les données officielles, le secteur audiovisuel brésilien pèserait environ 5 milliards de dollars, et dénombre plus de «500 films» annuels, même s’il doit s’appuyer sur la coproduction pour s’en sortir, à l’instar de Manas, soutenu notamment par les célèbres frères Dardenne. «Mais c’est la façon dont fonctionne l’industrie mondiale du cinéma, tempère Dominique Santana. C’est difficile de travailler isolé dans son pays, sauf peut-être si vous êtes américain. Et encore…»
Objectif : les Oscars et Golden Globes 2026
Autre incidence de cette instabilité chronique, plus artistique celle-ci : le cinéma brésilien porte dans son ADN les stigmates de son Histoire. «Lorsqu’un artiste est en colère, frustré, il finit par transformer cela en poésie, en littérature ou en films», résumait Kleber Mendonça Filho en 2019 à la sortie de son film Bacurau. Certaines œuvres se sont ainsi frottées de trop près à la dictature, notamment lors des «années de plomb» (1964-1984), jusqu’à être censurées, comme le désormais «classique» Iracema : Uma Transa Amazônica, présenté cette année à la Berlinale dans sa version restaurée, comme ce dimanche à Dudelange. D’autres plus récentes s’en veulent le témoin indirect, afin que les choses «changent, s’échangent». Dominique Santana : «C’est nécessaire de réfléchir d’où l’on vient, surtout quand il y a encore des tabous, voire du déni. C’est une forme de renégociation avec sa propre histoire».
Une «authenticité» portée par des cinéastes de talent à «l’esthétisme léché» qu’approuve Hugo Prata : «Beaucoup de films montrent un fort engagement et évoquent notre face la plus sombre. Mais ces choses tristes font des œuvres intéressantes! D’une certaine façon, c’est cathartique : on se sent mieux après (il rit). On n’essaye pas d’être américains ou britanniques. On est brésiliens, et en soi, c’est déjà une force». Si selon certaines sources, l’origine du cinéma au Brésil remonte à 1925 et les premières productions de Humberto Mauro, cela veut dire qu’il fête cette année son siècle d’existence. Que peut-on alors lui souhaiter? «Qu’il grandisse et continue de créer des émotions, de sensibiliser le public avec ses sujets, ses problèmes, ses belles choses», pour Hugo Prata. «Qu’il ne cesse de résister et de briller», pour Dominique Santana. Avec O Agente Secreto toujours en course pour les Oscars 2026, et Manas aux Golden Globes, pas sûr qu’il ne s’arrête en si bon chemin.
Festival du Film brésilien
Jusqu’à dimanche.
Utopia – Luxembourg.
CNA – Dudelange.
Le Paris – Bettembourg.