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[Musique] «The Modern Hope» : Raftside en quête d’espoir


(Photo : filip markiewicz)

Avec The Modern Hope, Raftside, alias l’artiste pluridisciplinaire Filip Markiewicz, continue d’explorer les possibilités de la pop, cette fois sous le signe du disco et des grooves remuants. Toujours avec une ironie mordante, mais aussi beaucoup de lui-même.

Filip Markiewicz a eu une année 2025 pour le moins chargée : en mars, il a fait sa première mise en scène au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, adaptant l’Électre de Sophocle dans une version ultramoderne, signant par la même occasion la scénographie, les costumes, la vidéo et, bien sûr, la musique (interprétée sur scène notamment avec le percussionniste N.U. Unruh, du groupe allemand emblématique de la musique industrielle Einstürzende Neubauten). En cette fin d’année, il est de retour sous la bannière de Raftside, le projet musical qui l’accompagne depuis 25 ans. The Modern Hope a été «teasé» en live, d’abord au MNAHA lors de la dernière Nuit des musées, où l’artiste a présenté une version «déconstruite» de ce nouvel album, puis lors d’une «release party» à la Luxembourg Art Week vendredi dernier.

À l’aise aussi bien sur scène que dans les musées et galeries d’art contemporain, Filip Markiewicz affirme pourtant : «Ce qui m’intéresse, c’est de sortir de ma zone de confort, d’aller dans des sphères plus dangereuses.» Pour un artiste touche-à-tout, on interprétera cela comme on voudra. Mais il est vrai que The Modern Hope marque, sinon un nouveau départ, du moins un virage dans ce projet au long cours – démarré quand Markiewicz était encore étudiant en arts visuels à Strasbourg – et qui, depuis, n’a de cesse d’explorer les possibilités de la musique pop. «Avec cet album, je souhaitais rester dans la tradition de la chanson pop formatée sur trois minutes» et définitivement dansante, dans la veine de la «pop anglaise des années 1980», explique-t-il, citant pêle-mêle les influences de David Bowie, Depeche Mode, Queen ou Elton John, mais aussi ABBA, Daft Punk, Muse ou Kendrick Lamar, autant d’artistes et de «genres différents», parfois «très loin de (s)a musique», mais qui ont été essentiels dans la conception du «squelette de l’album».

Car, sur douze titres et près de quarante minutes, The Modern Hope dévoile un paysage sonore synthétique et liquide, des ambiances familières, accompagnées par une écriture concise et des transitions naturelles, voire organiques, qui ne laissent pas toujours filtrer que l’on glisse ici d’un morceau à un autre, ou qui soulignent là le caractère opposé (mais pas moins complémentaire) de deux chansons qui se suivent. Une approche «pensée» dans le détail, dit Filip Markiewicz, qui précise pourtant qu’il n’avait initialement pas prévu de travailler à un nouvel album.

Quatre ans après Ultrasocial Pop, aux sonorités plus sombres et industrielles, il en est venu à écrire des chansons après avoir travaillé sur les visuels de ce qui allait devenir ce nouveau disque. «De fil en aiguille, le fait d’enregistrer des morceaux m’a encouragé à parvenir à quelque chose qui soit rond.» Alors que la «culture actuelle» est aux «singles et (à) la musique que l’on consomme rapidement», Filip Markiewicz puise sa «motivation» dans la perspective de l’album fini, avec un début, un milieu, une fin et, pour englober le tout, la cohérence d’un concept fort.

Danser le rêve

Chez lui, la narration revêt toujours une dimension critique : l’artiste qualifie The Modern Hope d’«autoportrait», mais en creux, ses textes dessinent aussi un état du monde. «C’est toujours difficile de donner une vision politique derrière un album», avoue-t-il, préférant parler d’un discours engagé qui «va plutôt dans le sens de la poésie ou de la littérature» : «Il faut qu’il y ait une logique de mots, un illogisme aussi, quelque chose d’assez ambigu, de surréaliste, tout ne peut pas être chanté non plus, et réussir à faire fonctionner tout cela, comme une sorte de rêve.» Ainsi, DNCNG, petite pépite disco-pop aux accents apocalyptiques construite sur des nappes de synthés étincelantes (on pense autant au Bowie des premières années 1980 qu’aux Scissor Sisters), évoque «la guerre et les horreurs du monde». «En même temps, ça donne envie de danser. Sur un volcan qui est sur le point d’exploser, oui, mais danser quand même.»

Plus loin, sur Daydreaming, toujours sous le couvert d’un groove remuant, il chante l’attente, en se «remémorant les gens qui faisaient la queue à l’époque de la Pologne communiste». Ce titre, comme Afternight et Beyond the Sky – avec lesquels Daydreaming forme une suite non avouée – a été enregistré en Pologne, le pays d’origine de ses parents, et «brosse une couleur différente» au sein de l’album, «plus nostalgique». «On me demande souvent pourquoi je fais autant de choses. C’est une question d’éducation : mes parents sont venus ici et m’ont dit qu’au Luxembourg, il fallait que je travaille trois fois plus que les autres pour me faire accepter.» À 45 ans, il confesse s’«amuser beaucoup» dans sa pratique artistique qui n’a rien d’une routine. Passer de la musique aux arts plastiques, au théâtre, à la vidéo ou à la création de costumes : chaque changement de direction apporte «une autre approche du temps, une autre réflexion qui me permet de prendre de la distance et de retrouver de la fraîcheur».

Le but de cet album, c’était de tout faire moi-même

The Modern Hope n’échappe pas à ce processus : pour la première fois, Filip Markiewicz s’est retrouvé tout seul aux manettes et aux instruments. Ce qui colle bien à la notion d’autoportrait mise en avant par le disque – et validée par la pochette, sur laquelle il «montre (s)on visage pour la première fois». «Le but, c’était de tout faire moi-même, de la production jusqu’au mixage, en passant par le mastering, le graphisme… Forcément, ça fait beaucoup et ça ne me laisse aucune distance», reconnaît cet admirateur de Brian Wilson, cerveau perfectionniste des Beach Boys et «musicien bidouilleur» de génie. Au point de ne pas être sûr d’avoir «envie de refaire cela à l’avenir, parce que c’est une somme de travail considérable».

«Exposition live»

Bien que l’idée de ce nouveau disque soit née un peu par hasard, Filip Markiewicz ne cache pas son «envie» de prolonger l’aventure sous d’autres formes, de la même manière qu’Ultrasocial Pop s’était décliné dans les galeries du Mudam (au sein de l’exposition collective «Freigeister» en 2021) et de la Konschthal (avec l’expo monographique «Instant Comedy» en 2022). «J’aimerais bien travailler sur l’aspect visuel de l’album, développer son côté théâtral, peut-être même aller vers la sculpture», affirme-t-il. Lauréat du Global Project Grant 2026 de Kultur:LX, il pourra ainsi développer l’idée d’«un concert où je jouerais tous les morceaux de l’album à la suite, avec un spectacle vidéo-lumière, mais aussi avec des musiciens invités», voire d’une «exposition live», qui ferait cohabiter dans le même espace la musique de Raftside et l’art contemporain.

Le titre fonctionne comme un slogan ironique, qui se phagocyte tout seul

Puisque Filip Markiewicz souligne sa «nature contradictoire», on a encore beaucoup à espérer de Raftside et de son nouveau projet. Après tout, c’est dans le titre même du disque : «The Modern Hope, c’est une manière de dire qu’on vit tous dans une sorte de monde digitalisé dans lequel on se perd, mais cette histoire moderne, elle est assez limitée, en fait. Mais on peut l’interpréter aussi de manière plus positive…» L’ambiguïté, toujours, pour prolonger le contraste entre «les mélodies légères et les textes sombres», ou entre les rythmes joyeux et les visuels en noir et blanc. «Le titre fonctionne comme un slogan un brin ironique, qui se phagocyte tout seul», poursuit Filip Markiewicz, qui «aime bien les titres qui ne sont pas très clairs». Pour qu’en définitive, il revienne à l’essence même de son expression artistique : «C’est après plusieurs morceaux que je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose en moi, à ce moment-là, qui me donnait envie d’avoir de l’espoir. Comme quand je dessine des choses avec plein de couleurs…»

The Modern Hope, de Raftside.

 

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