Le groupe, qui fête ses 50 ans d’existence, a une vision de la direction originale.
Jamais le secteur de la construction et de l’immobilier luxembourgeois n’a traversé une crise d’une telle ampleur que celle en cours depuis trois ans, entraînant des faillites d’entreprises en cascade. Pourtant, et bien que ce soit la couleur emblématique de son logo, le groupe Costantini basé à Niederkorn n’a pas viré dans le rouge.
Forte de 832 salariés et d’un chiffre d’affaires en 2024 de 210 millions d’euros, la société a célébré ses 50 ans en septembre à la Kulturfabrik. Elle a profité de la cérémonie marquant son demi-siècle pour annoncer un nouveau changement dans sa gouvernance. Ce n’est pas la première fois que cela se produit et cela pourrait bien constituer, en plus de sa capacité à se diversifier, l’une des raisons de sa réussite.
Tout a commencé d’une façon on ne peut plus traditionnelle : Osvaldo Costantini, fraîchement arrivé de son Italie natale au Luxembourg, fonde en 1975 à Schifflange une entreprise de voirie et de génie civil. Il la fait fructifier pendant une vingtaine d’années, avant de la céder à son fils Renato. Mais la suite est plus originale. Renato estime que décider de tout, tout seul, n’est pas la meilleure chose à faire pour continuer à prospérer. Surtout lorsqu’on se retrouve, comme lui en 2001, à la tête d’une société générant une dizaine de millions d’euros de chiffre d’affaires et propriétaire de plusieurs terrains.
Très vite, il associe quatre ingénieurs, dont Christophe Zauli et Christophe Dardenne, à la direction puis à l’actionnariat. «Nous étions des ingénieurs belges, français… Il nous a dit : « J’ai envie de vous faire confiance et je vais vous vendre une partie de ma société. » Et après, il nous a laissé faire», se souvient Christophe Zauli, l’un des administrateurs. Ensemble, ils développent la construction, diversifient les métiers en se lançant dans l’immobilier, l’électricité ou encore récemment en prenant des parts dans des entreprises de toiture et de métallerie. Ils ouvrent des agences en France et en Belgique, investissent dans un parc matériel conséquent et créent des synergies métiers.

Mais à mesure que l’entreprise grossit, une évidence s’impose : «Nous étions devenus tellement gros que nous n’avions plus assez de ramifications en dessous pour avoir toute la substance de certains métiers et de certaines régions», explique Christophe Dardenne, administrateur délégué.

«Il y a plus dans neuf têtes que dans quatre»
En avril 2025, l’entreprise décide donc de modifier à nouveau sa gouvernance. Un comité de surveillance sera mis en place et le comité de direction sera constitué de neuf personnes, et non plus quatre. «On a très vite dit que ce qu’on allait mettre en place viendrait de l’interne, qu’il n’y aurait aucun recrutement externe», souligne Christophe Zauli. Le projet est baptisé «Continuity», clin d’œil homophonique au nom Costantini. Un cabinet de conseil accompagne la transition.
Le nouveau comité de direction, qui se réunit tous les 15 jours, est à présent représentatif de tous les services. «La DRH ou le directeur de Paris ont toujours les mêmes fonctions, mais ils siègent désormais au comité de direction», précise Christophe Zauli qui prend l’exemple d’Isabelle Monties, la DRH : «Elle a commencé sa carrière chez nous, a plus de dix ans d’ancienneté… c’était évident», souligne Christophe Zauli.
La gouvernance reste en partie alignée sur l’actionnariat – trois membres sur neuf sont actionnaires –, mais une séparation nette a été instaurée : «Les rôles ne sont plus les mêmes, reprend Christophe Zauli, le conseil d’administration missionne le conseil de surveillance qui est désormais chargé de la stratégie de croissance externe, des gros investissements, des acquisitions immobilières… partout où il faut utiliser le portefeuille des actionnaires», résume-t-il, «tandis que le comité de direction est dans le fonctionnement de tous les métiers, le quotidien». «Je pensais que ça allait peut-être créer un peu d’inertie décisionnelle, mais finalement, constate Christophe Dardenne, ça va assez vite. On a cet esprit et cet ADN aussi d’être efficace, d’aller à l’essentiel… ça relance une nouvelle dynamique.»
Pour les deux hommes, ce nouveau fonctionnement n’est pas un gadget de communication, mais une conviction : «Il y a plus dans neuf têtes que dans quatre. L’intelligence collective aujourd’hui, il n’y a même plus besoin de démontrer à quel point c’est surpuissant comme outil», martèle Christophe Dardenne. La transition s’est faite en douceur, certains anciens dirigeants siégeant encore au comité de direction.
«C’était important aussi d’avoir une passation, une continuité», affirme Christophe Zauli. «Et puis, ça relance une nouvelle dynamique, ça rebat un peu les cartes, ils vont oser ce que, peut-être, on n’aurait pas fait après plus de 20 ans dans le comité de direction», sourit-il. Sans compter que la gouvernance partagée est aussi une façon de dire merci «aux gens qui ont participé au développement de Costantini», conclut-il.
Mille salariés dans le viseur
Costantini a beau figurer parmi les trois premières entreprises de BTP du pays, le groupe n’entend pas s’arrêter là. Son objectif affiché est de faire 250 millions d’euros de chiffre d’affaires et de passer le cap des 1 000 salariés. «Mais il faut qu’on y arrive de manière profitable», avertit Christophe Dardenne. Le vrai défi de demain ? L’humain, encore : «On a plus de 50-60 ans que de 20-30 ans, beaucoup plus», poursuit-il. Or trouver de la main-d’œuvre qualifiée est compliqué : «Il y a plus de pilotes d’iPhone que de grues», ironise-t-il. Et de prédire : «Dans les années à venir, on paiera plus cher un gars qui va sur les chantiers qu’un gars au bureau».