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[Culture] Quand l’IA s’amuse avec l’Histoire


Sur TikTok ou YouTube, les vidéos qui rejouent l’Histoire grâce à l’intelligence artificielle connaissent un succès grandissant. Au risque de générer des anachronismes, voire de fausses vérités. Analyse.

Des touristes observant Marie-Antoinette avant son exécution ou un soldat américain se filmant lors du Débarquement… Des vidéos de grands événements historiques générées par intelligence artificielle (IA) remportent un franc succès sur les réseaux sociaux, alimentant au passage les craintes d’une approche faussée de l’Histoire.

Comme «History AI» ou «Time Travel Tour Bus», des comptes TikTok se sont spécialisés dans la mise en scène de contenus de ce type, sous un prisme contemporain. Certains, comme «Mindmax Podcast», proposent même de traduire en images les requêtes d’internautes souhaitant par exemple voir «une charge de croisés» ou «la bataille d’Azincourt» au XVe siècle.

Cette tendance, avec des vidéos aux millions de vues (jusqu’à 44 millions sur TikTok pour une séquence retraçant la journée d’un ouvrier sur le chantier d’une pyramide) et très partagées, repose d’abord sur «la fascination pour les créations par IA», selon l’historien Hervé Leuwers.

Mais elle révèle aussi «un intérêt constant de nos sociétés pour l’Histoire et pour ses résonances dans notre présent», souligne-t-il. Au risque, pour l’historienne Virginie Sansico, d’une «forme de falsification» historique, en raison de l’«anachronisme psychologique et culturel» de ces vidéos.

Une story du Débarquement

Elle cite en exemple une séquence sur le Débarquement en Normandie, filmée comme une story Instagram, qui projette sur le soldat «la psychologie, les codes culturels et les émotions supposées d’un jeune d’aujourd’hui, mais ne dit en réalité rien, ni de ce soldat, ni de son univers mental, ni même de l’événement historique auquel il prend part». Sans pour autant se présenter comme des historiens, certains créateurs revendiquent une approche plus réaliste.

À l’instar de «CommonHub», sur YouTube, qui reconstitue, dans des séquences d’une minute ou plus, l’ambiance de certaines grandes périodes de l’Histoire. «Je choisis des thèmes et des civilisations qui me semblent particulièrement attractifs, comme Babylone, les Vikings, les Mayas…», explique Jorge, le jeune Espagnol derrière ce compte créé à l’été 2024.

Après s’être documenté sur la période choisie pour en retenir les «aspects les plus importants», le youtubeur recourt à trois IA différentes pour créer ces reconstitutions.

«Ressentir» l’Histoire

D’abord ChatGPT, dont «les nombreuses données historiques» l’aident à affiner ses requêtes de création. Ensuite MidJourney pour générer des images d’époque, qu’il transforme enfin en vidéo grâce à l’outil Runway.

À ses yeux, ces vidéos permettent, outre une monétisation de son propre contenu, de «visualiser, entendre et presque ressentir ce à quoi ressemblait la vie à ces époques, avec le plus de réalisme possible». Un point de vue que ne partage pas Virginie Sansico, pour qui cette tendance virale laisse croire «que connaître l’Histoire, c’est la « voir » et que voir suffit à comprendre».

Or «l’Histoire n’est pas une vision du passé, mais une construction intellectuelle tendant à sa compréhension», qui nécessite d’«accepter la complexité» plutôt que de «penser accéder à la connaissance par des formats courts et efficaces, par des logiques de vulgarisation à outrance».

Un effort que ne favorisent pas forcément les contenus produits grâce à des outils de génération de vidéo comme Sora 2, d’OpenAI, permettant de créer facilement des vidéos très réalistes de dix à quinze secondes maximum.

«Fausse transparence»

En octobre, OpenAI avait annoncé bloquer la génération de vidéos IA de Martin Luther King à la demande de sa famille, après que les proches d’autres défuntes personnalités historiques eurent également dénoncé des dérives dans l’utilisation de leur image.

Pour Hervé Leuwers, l’essor de vidéos IA historiques fait redouter de «possibles manipulations de sources, particulièrement pour l’Histoire du XXe siècle : transformations d’images, inventions de scènes sonores…».

Et bien que les créateurs indiquent la nature artificielle de leurs vidéos, Virginie Sansico regrette une «fausse transparence qui les déresponsabilise et leur donne bonne conscience». Car, selon elle, «l’esthétique documentaire trompe les spectateurs tout en semant le trouble : ces vidéos ne sont ni des fictions assumées par leurs producteurs ni de véritables reconstitutions historiques, car les sources sont floues et indéterminées».

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