Pour comprendre ce qu’est le multivers, on peut étudier la cosmologie, la physique quantique et la théorie des cordes.
On peut aussi faire confiance à la fiction, qu’elle soit spectaculaire (les dernières aventures des superhéros Marvel, la série Doctor Who, le film Everything Everywhere All at Once) ou qu’elle reste à échelle humaine (les films Mr. Nobody et Sliding Doors). Partisan du second choix, Nick Payne ne cherche pas tant à expliquer dans le détail une théorie trop complexe et tout aussi assommante que d’en faire le concept de Constellations, une romance conflictuelle (ou pas, selon la réalité dans laquelle on se trouve) entre deux personnages – une pièce écrite par le Britannique en 2011, au style aussi éclaté qu’éclatant, poursuivi depuis aussi bien au théâtre (Elegy, The Art of Dying) qu’à l’écran (la série Wanderlust, le film We Live in Time).
La confrontation entre la simplicité du dispositif (deux comédiens, un écran) et l’infiniment grand des possibilités dramaturgiques est essentielle à la pièce. Et pour cause : on y suit, sinon toutes, au moins une partie des directions que pourrait prendre la relation entre Marianne, cosmologue, et Roland, apiculteur. L’histoire pourrait s’arrêter après leur rencontre à un barbecue entre amis (parce qu’il y a un univers où Roland a un comportement déplacé) ou au lendemain de leur première nuit ensemble (parce qu’il y a un univers où Marianne souhaite que ça n’aille pas plus loin). Elle pourrait durer des années, se transformer en mariage ou finir en rupture avec option infidélité… Elle est unique, mais elle pourrait exister différemment dans chacun de cet «ensemble inimaginablement vaste d’univers parallèles», comme l’explique simplement Marianne.
Il ne s’agit pas de distinguer ce qui «a été» de ce qui «aurait pu être», mais bien de piocher les pièces suffisantes pour illustrer la mécanique, double et contradictoire, du hasard et du destin. Pas de calculs à multiples inconnues ni de langage scientifique, mais tout un éventail d’instantanés répétés avec autant de tons, d’émotions et d’issues différentes, parfois pour un seul mot, une seule intonation. Une fois le concept posé, à situation donnée, on peut anticiper les réactions des personnages (à une demande en mariage, par exemple, dans une scène tour à tour hilarante, triste, embarrassante…). Le texte, lui, se garde bien de laisser prédire qu’il se dirige vers une deuxième partie beaucoup plus sombre, étendant la réflexion à la fragilité de l’humain, à la mort et au libre arbitre.
Si tout le monde pouvait lécher la pointe de ses coudes, alors ce serait le chaos
Sur la scène du Centaure, le minimalisme est nécessaire : cela passe par la scénographie de Christian Klein, qui réadapte l’idée déjà expérimentée sur Prima Facie d’une structure métallique aux multiples interprétations (quoiqu’encore plus épurée ici), mais aussi par la mise en scène, Lol Margue utilisant la projection vidéo (et la participation de quelques comédiens supplémentaires) pour redoubler de voyages dans le temps et dans les possibilités de cette histoire d’amour contrariée par les astres. Surtout, la pièce repose sur ses comédiens, Valérie Bodson et Olivier Foubert, la première rêvant de l’infini et rattrapée par la rationalité de sa propre existence, le second incarnant le monde concret et tangible. En un simple cliquetis lumineux (signe que l’on passe à un autre espace-temps), ils passent du comique au tragique, de l’amour à la déchirure, du marivaudage au deuil, en jouant toujours sur ces changements à peine perceptibles, qui donnent lieu à des conséquences radicalement différentes. La précision avec laquelle ils déroulent leur palette de jeu laisse au final une certitude, celle qu’en eux ne se cache pas un monde, mais toute une multitude.
Constellations de Nick Payne
Mise en scène Lol Margue
Avec Valérie Bodson et Olivier Foubert
Durée 1 h 35
Lieu Théâtre du Centaure / Jusqu’au 30 novembre