Marc Kaufmann est économiste et vice-président de l’Observatoire de la politique climatique. Il nous donne sa vision sur l’avancement du Luxembourg dans sa transition climatique.
Comment décririez-vous l’état actuel de la politique climatique au Luxembourg? Le pays est-il dans la bonne voie pour atteindre ses objectifs?
Marc Kaufmann : Officiellement, le Luxembourg est dans la bonne voie pour atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de 2030, définis par rapport à 2005. Cette performance est largement due à une diminution du « pétrotourisme ».
Les prix des carburants au Luxembourg étant devenus moins compétitifs par rapport aux pays voisins, les frontaliers achètent moins de carburant au Grand-Duché. Ce n’est donc pas principalement le résultat d’une réduction de la consommation interne des Luxembourgeois et cet effet ne peut pas être reproduit.
Mais je suis sceptique quant à l’atteinte des objectifs de neutralité climatique de 2050 sans des politiques plus ambitieuses et des changements systémiques majeurs qui devront être plus douloureux pour la population.
Selon vous, quelles ont été les réalisations les plus significatives jusqu’ici?
Le Plan national énergie-climat constitue un cadre majeur qui englobe la plupart des secteurs concernés par la transition énergétique. La baisse des émissions liées au transport s’explique principalement par la convergence des prix des carburants, tandis que l’introduction d’une taxe carbone vise à encourager une réduction supplémentaire des émissions.
Enfin, le Plan social-climat joue un rôle essentiel pour prendre en compte les conséquences sociales de ces politiques, notamment en ce qui concerne les inégalités qu’elles peuvent générer, comme les coûts de rénovation des logements.
Quels sont les défis majeurs et les lacunes de la politique climatique?
Les transports et le bâtiment sont les principaux obstacles, car non couverts par le système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (EU ETS), sur lequel le Luxembourg a peu de contrôle direct.
D’autant plus que la voiture reste nécessaire et centrale pour se déplacer au Luxembourg.
Les citoyens reconnaissent l’importance du climat, mais sont souvent réticents à payer des coûts significatifs ou à faire des efforts majeurs, tels que la rénovation énergétique coûteuse.
Le défi est de mobiliser la population et les acteurs politiques pour investir des sommes importantes dans la transition, sans que cela soit perçu comme une punition. Et puis, il n’y a pas de solution miracle. Des changements systémiques sont nécessaires.
Quel rôle joue la petite taille du pays?
La petite taille rend l’évaluation des politiques complexe, car de petits changements peuvent grandement influencer les chiffres nationaux. Le Luxembourg, en tant que petite économie ouverte, est très dépendant des marchés et des politiques de ses voisins, limitant son contrôle sur certains aspects de la transition, comme la production d’électricité.
Et l’’augmentation rapide de la population complique davantage la tâche de réduction des émissions. Mais, d’un autre côté, le fait que le Luxembourg soit petit permet également d’agir et d’avoir des résultats plus rapidement.
Quelles sont les priorités pour accélérer la transition climatique?
Déjà, les politiciens doivent être plus honnêtes avec les citoyens sur les coûts et les efforts nécessaires, en évitant à la fois l’alarmisme et la complaisance. Il est crucial de traiter les citoyens comme des adultes capables de faire face à la vérité.
Les politiciens doivent aussi faire preuve de courage pour diriger, convaincre et vendre une vision qui montre que les efforts contribuent à une vie plus valable, plutôt que de se contenter de chercher la popularité.
Les gouvernements doivent accepter qu’ils ne connaissent pas toutes les solutions et être prêts à expérimenter des politiques. Le tout en tolérant que certaines puissent échouer et en investissant dans l’innovation pour réduire les coûts.
Le Luxembourg pourrait prendre exemple sur ce qu’a fait l’Allemagne pour le photovoltaïque et l’appliquer dans la rénovation des bâtiments par exemple.
Et bien sûr, au lieu de simples actes individuels, il faut une vision globale et intégrée, comme une planification urbaine favorisant la marche et les transports en commun.
L’Observatoire de la politique climatique, c’est quoi?
L’Observatoire de la politique climatique (OPC) est un organe institué par la loi sur le climat de 2020 et qui se veut indépendant. Le rôle de ses sept à neuf membres nommés pour cinq ans est de commenter les politiques climatiques et d’apporter une expertise scientifique.
«Les membres ne travaillent pas pour le gouvernement, ce qui garantit une évaluation impartiale. Cependant, les nominations sont validées par le gouvernement», nuance son vice-président.
L’indépendance de cet observatoire est cruciale pour obtenir une évaluation objective de la politique climatique, ce que ne permettrait pas une autoévaluation du gouvernement.
Fondé en 2021, cet observatoire est encore en phase de définition de son champ d’action précis : «Au-delà des rapports annuels, j’espère que l’OPC influencera concrètement la prise de décision politique et pourra changer quelques lois.»