Retrouvez la critique musique de la semaine.
La stratégie marketing est évidente, mais elle fonctionne : rien de tel pour un début d’hiver que de se réchauffer sur des notes enveloppantes et une voix éclatante qu’il est bon de retrouver. Comme celle de Celeste, par exemple, qui est restée très discrète après la sortie de Not Your Muse (2021), venu consacrer une célébrité fulgurante. Entre Strange, époustouflante ritournelle en piano-voix, la pop-soul de Stop This Flame et les grooves enlevés de Love Is Back, ce premier album soutient la comparaison avec Adele, Amy Winehouse et Shirley Bassey, et a assis Celeste parmi les grandes divas britanniques de la soul. Mais le monde est tombé à l’arrêt précisément quand elle était en passe de devenir une superstar. La suite, de plus en plus cauchemardesque, est faite de tournées annulées, de nouveaux projets repoussés, de la fin compliquée d’une relation amoureuse toxique, de tensions avec son producteur, Jeff Bhasker, et d’une pression énorme imposée par son label, Polydor.
«C’est une femme de tous les visages / Qui travaille si dur, juste pour être remplacée / Qui se soucie vraiment de ce dont elle est faite?» chante Celeste, la voix tremblante, dans la chanson éponyme de son deuxième album. Son titre, Woman of Faces, fonctionne comme «un moyen de m’aider à commencer à comprendre ma propre complexité», comme l’a confié au Guardian la principale intéressée. Et si les textes imposent une distance narrative, elle les chante le cœur à vif. Car ce disque, créé dans la douleur, offre une réflexion sur cette période malheureuse; à en croire les instrumentations grandioses et puissante, elle en est sortie endurcie.
Celeste impose sa vision, somptueuse et authentique, contre les injonctions de l’industrie
En prenant mille visages, Celeste fait tomber le masque et dit la vérité, même si cela implique de pointer du doigt son label, qui l’oblige à rester hyperactive sur les réseaux sociaux, contrôle sa musique et la pousse à composer des succès dans la veine de Stop This Flame. En réponse, elle livre un deuxième album qui baigne dans l’atmosphère feutrée du jazz vocal, d’autant plus spectaculaire qu’il est privé de percussions. Ce qui, d’une part, oblige une bonne fois pour toutes à reconnaître la filiation avec Billie Holiday, pour le phrasé découpé et une voix qui laisse filtrer les fissures de l’âme. De l’autre, c’est le message d’une artiste qui tente d’imposer sa vision, somptueuse et authentique, bourrée d’émotions et un brin rétro – tout cela contre les injonctions du marché. Le combat, selon elle, est encore loin d’être gagné. Le succès mondial du nouvel album de Rosalía, Lux, une œuvre radicale influencée par l’opéra, et pour laquelle la star espagnole a eu carte blanche et soutiens promotionnels à foison, suffit à souligner le paradoxe de l’industrie musicale.
Il est ainsi intéressant que Celeste commence cet album avec On With the Show, écrite en 2022, lorsque l’artiste était au plus bas et songeait à mettre un terme à sa carrière. L’ambiance est sombre, désolée, et l’instrumentation qui dévoile progressivement sa richesse ouvre à une profondeur dramatique qui donne le vertige. Parti de là, l’album défile avec un fil narratif très clair : la résilience trouvant peu à peu sa place dans la douleur, et la voix de Celeste, que l’on entend parfois sur le point de craquer sous le coup de l’émotion (Happening Again, Woman of Faces), devient plus solide, jusqu’à un glorieux This Is Who I Am, qui pourrait (comme On With the Show) faire office de générique pour un James Bond. Entre la douceur de sublimes ballades et la grandeur des mélodies orchestrales – et à l’exception de l’étrange Could Be Machine, qui étend le commentaire aux réseaux sociaux et à l’IA, sous la forme d’une «anti-pop» moqueuse et retouchée à l’excès –, les chansons finissent par sonner répétitives. Mais Celeste complète sa quête en tout juste 33 minutes, et revendique par la même occasion qu’elle a sa façon de chanter ses peines : avec honnêteté et détermination.