Perdu depuis la Seconde Guerre mondiale, star de la foire européenne de beaux-arts et d’antiquités en mars aux Pays-Bas, un tableau surprenant de Gustav Klimt refait surface. Retour sur une histoire pas comme les autres.
Un jour d’été 2023, un client ouvre la porte de la galerie viennoise W&K. «Que voulait-il?», demande alors le patron Ebi Kohlbacher à son employé qui venait de gentiment l’éconduire. «Il voulait vendre un Klimt», lui répond-il un brin moqueur, sans se rendre compte qu’il venait de dire non à un des rares portraits d’un prince africain peint par un artiste majeur occidental.
Spécialiste du célèbre peintre autrichien, Ebi Kholbacher se met à courir immédiatement derrière le visiteur. Car il sait, lui, que certaines œuvres du maître autrichien n’ont toujours pas refait surface.
L’homme lui présente la photo d’un portrait méconnu, disparu depuis plus de 80 ans. Et pas n’importe lequel : celui de William Nii Nortey Dowuona, peint en 1897. Une huile sur canevas de 65,5 sur 54 cm, représentant une figure noire ayant posé comme modèle pour Gustav Klimt (NDLR : à noter qu’il posera aussi, la même année, pour un autre peintre autrichien, Franz von Matsch, toile qui appartient aux collections du MNAHA). Membre de la famille royale de la tribu Osu, dans l’actuel Ghana, ce prince avait rencontré le peintre symboliste lors d’une exposition coloniale exhibant des humains extra-européens à Vienne.
Quatre propriétaires successifs
Son portrait de profil appartenait avant la guerre aux Klein, une riche famille juive de marchands de vin, qui l’avait acquis après la mort de Klimt en 1918 à 55 ans et exfiltré en Hongrie à l’arrivée des nazis. Mais après l’avènement du communisme en 1949, toutes les demandes de restitution ont été ignorées par leur ancien homme de confiance, mort 20 ans plus tard.
Le tableau, tombé ensuite dans l’oubli, connut quatre propriétaires successifs en Hongrie, entre 1988 et 2023. C’est le dernier d’entre eux qui l’a montrée à W&K, dans l’espoir de la faire authentifier.
«Il fallait clarifier sa provenance sans faille possible», explique Ebi Kohlbacher dans un café à deux pas de sa galerie, au cœur de l’ancienne capitale impériale. Une fois l’autorisation d’exportation obtenue de la Hongrie, la toile a pu enfin être expertisée en Autriche.
Alfred Weidinger, spécialiste de l’oeuvre de Klimt, a certifié son authenticité et a pu retracer son parcours. Le portrait «occupe une place centrale dans l’évolution» du peintre, selon lui. Ses éléments floraux marquent «une étape clé dans son langage artistique» et «sont devenus plus tard l’une de ses caractéristiques».
Les villages reconstitués et le prince
«Cette phase de transition est particulièrement marquée par une tension entre la figure méticuleusement rendue et naturaliste, avec le visage à la présence digne soigneusement modelé du sujet et le traitement vibrant, presque expressionniste, de l’arrière-plan», explique-t-il.
C’est aussi pour Ebi Kohlbacher «l’une des rares peintures représentant un Noir dans l’art européen, réalisée par un grand maître». «Klimt devait avoir connu et apprécié le prince», dit-il, soulignant la présence d’éléments africains dans les «ornements» qui parcourent ses toiles. «Il est évident que l’admiration transpire de ce tableau.»
En 1897, le prince William Nii Nortey Dowuona menait une délégation de 120 personnes engagées durant six mois pour être montrées dans des villages reconstitués attirant jusqu’à 10 000 visiteurs par jour. «La bourgeoisie viennoise les invitait dans les cafés et les emmenait visiter les monuments ou faire les boutiques», affirme Alfred Weidinger.
«Même si cette proximité aura intensifié le voyeurisme, ils n’étaient plus séparés du public» contrairement à une précédente exposition en 1878, souligne-t-il, estimant que le tableau de Klimt marque aussi une rupture dans le regard posé par les Européens sur les Africains.
Budapest veut se saisir de l’œuvre
La propriétaire originelle Ernestine Klein étant morte en 1973, un accord confidentiel a été trouvé entre ses ayants droit, qui vivent dans des pays anglo-saxons, et l’actuel propriétaire. L’office des monuments historique autrichien a donné son feu vert pour que la toile quitte le pays, mais c’était compter sans la Hongrie de Viktor Orbán.
Budapest clame désormais que l’autorisation d’exportation du tableau n’était pas valide et le réclame, estimant qu’un bien aussi précieux n’aurait jamais dû partir.
Toutefois, selon le galeriste, la cession de cette œuvre entre dans le cadre des Principes de Washington, adoptés en 1998, qui encadrent juridiquement la restitution des œuvres d’art volées aux descendants des victimes de l’Holocauste. Pour sa part, le parquet autrichien a confirmé avoir reçu une ordonnance de saisie de la part de la Hongrie.