L’ASBL, qui a sauvé la vie de 300 faons cette année, cherche des bénévoles pour 2026.
Écouter Jacques Schroeder et Katty Leclere parler de leur association, c’est l’assurance de ne plus jamais regarder un champ de la même façon. Surtout pendant les moissons, quand les faucheuses, moissonneuses-batteuses et autres machines agricoles sont à l’œuvre. Le président et la vice-présidente de l’ASBL Sauvons Bambi expliquent très bien que cette période coïncide avec la naissance des petits du cerf, du daim ou du chevreuil. Et il n’est pas rare qu’en passant avec leurs engins dans leurs parcelles, les agriculteurs fauchent ces faons couchés dans les cultures.
Un problème lié à l’augmentation de la vitesse des engins agricoles, mais aussi au comportement des faons. Petits, ils n’ont pas le réflexe de s’enfuir, mais au contraire celui de se plaquer au sol à l’apparition d’un danger. «Les mères, les chevrettes, savent très bien ce qu’il va se passer quand le tracteur arrive, mais elles n’ont pas l’instinct d’aller chercher leur petit et de partir avec», explique Katty Leclere.
«Certains agriculteurs sont vraiment choqués et ne veulent plus jamais que ça arrive», rapporte Jacques Schroeder. Difficile en effet de rester insensible face à un animal «extraordinairement beau» qui, s’il n’est pas tué sur le coup, peut être mutilé et «vous regarde en criant», soupire Katty Leclere, poursuivant : «J’ai déjà vu des faons avec les quatre pattes coupées qui essaient de suivre leur mère.»
Et si l’on laisse de côté toute considération émotionnelle, d’un point de vue purement pragmatique, quand un agriculteur ne voit pas qu’il a fauché un faon, il y a risque sanitaire. Au moment de l’ensilage, le cadavre présente en effet de grandes chances de contaminer la production de nourriture animalière du fermier. Celui «qui a déjà eu des problèmes de botulisme, c’est le premier à nous appeler, parce qu’il peut perdre de 20 à 30 têtes de bétail en une journée», précise Katty Leclere.
Pas de sauvetage sans retrouvailles
Pour éviter cela, avant de faucher leur champ, les agriculteurs ont la possibilité de s’adresser à des chasseurs ou aux bénévoles de Sauvons Bambi, répertoriés dans le registre national de volontaires mis à jour par le ministère de l’Agriculture. Un moyen plus fiable que d’installer des barres d’effarouchement sur leur tracteur ou un système de trace thermique. Et en plus complètement gratuit. Depuis douze ans, dès le début du mois de mai, les dix pilotes de drone formés par l’ASBL scannent les parcelles à l’aide de drones à caméra thermique.
Lorsqu’un point de chaleur est repéré par l’appareil, le pilote passe en caméra normale et zoome pour identifier l’animal. «Si on n’y arrive pas, même après avoir fait descendre le drone, on est obligés d’envoyer quelqu’un sur place», indique Katty Leclere. L’exercice peut être en effet compliqué par la hauteur des herbes, la chaleur ou le type de fourrage aussi, qui multiplient les faux positifs.
Une fois la présence d’un faon confirmée et les coordonnées GPS envoyées, tout un savoir-faire se met alors en place : les bénévoles saisissent l’animal avec des gants et de l’herbe – sans ces précautions, sa mère risquerait de ne pas le reprendre –, puis le déposent dans une caisse maraîchère, non loin de là. La caisse est capitale, sinon les faons reviennent «comme des petites anguilles» au même endroit se faire tuer.

Quand l’agriculteur a fini de faucher, le bénévole libère le faon sans le toucher, dans une haie ou le champ voisin à couvert, là où sa mère pourra le rejoindre. «Un faon sauvé est un faon qui a retrouvé sa mère et qui continue à vivre avec elle», insiste Katty Leclere. Cette année, l’association a sauvé 300 Bambi après avoir vérifié les 1 392 parcelles de 177 «clients».
Une activité qui revient cher à l’association – un drone à caméra thermique vaut 7 000 euros. En plus, les volontaires sont difficiles à trouver. «On a un besoin criant de bénévoles, soupire Jacques Schroeder. Ce serait presque une question de survie du mouvement, parce qu’on va être obligé, à un moment donné, de dire « on ne peut pas venir, Monsieur l’agriculteur, car on n’a pas la personne ».»
Il faut dire que ce n’est pas de tout repos de faire partie de Sauvons Bambi. Sur la cinquantaine de candidatures reçues en 2025, seules trois sont allées jusqu’au bout. «Quand on doit courir toute une journée dans des herbes hautes avec le pollen depuis 4 h ou 5 h du matin, ils ont vite fait le tour, ils n’ont plus envie», regrette Katty Leclere.
Et pourtant, souligne Jacques Schroeder, «quand vous partez le matin à 5 h, que vous arrivez dans cette nature où le soleil se lève avec un fin banc de brouillard, que les petits oiseaux chantent, c’est déjà du bonheur. Même si vous êtes très fatigué parce que vous avez fait des coupes des plans de vol jusqu’à minuit, la veille, quand vous trouvez votre premier faon, c’est inexplicable. Ils sont magnifiques… Ils ont une attitude… On ne s’en lasse pas. Vous avez gagné votre journée et avez en plus l’impression d’avoir fait quelque chose de bien.»
Des communes jouent le jeu
Vivant de dons et ne bénéficiant pas de subsides directement, Sauvons Bambi peut néanmoins signer une convention avec une commune. Cette dernière achète une station d’intervention comprenant, entre autres, drone, talkie-walkie, filets et gilet mis à la disposition de l’ASBL entre mi-avril et mi-juillet environ. Treize communes sont déjà concernées. Une dizaine d’autres «attendent au portillon», indique Jacques Schroeder. En plus de ce prêt, «les communes s’engagent à sensibiliser les agriculteurs sur ce que nous faisons et à trouver des bénévoles pour organiser des réunions d’information de la population, etc.», poursuit-il. Sauvons Bambi s’est aussi tourné vers le CGDIS, qui compte un groupe de sauvetage animalier. L’idée est de profiter de leur centre d’appels ou de leurs ressources. Pour le moment, l’ASBL a essuyé une fin de non-recevoir.
Les profils nécessaires
Ce type d’association de sauvetage de faons existe dans plusieurs pays européens, parfois sous un nom différent. «Moi, j’y tiens vraiment, à ce nom-là, je trouve que c’est mignon et que ça peut sensibiliser les gens», sourit Katty Leclere. Et tant pis si certains les prennent pour des farfelus. L’Allemagne, par exemple, a bien compris les enjeux, puisqu’elle oblige les agriculteurs à effectuer une détection préalable à leur fauche sous peine de recevoir une amende salée.
Une solution bien rodée outre-Moselle, mais qui serait difficilement transposable au Luxembourg, selon Sauvons Bambi, en raison des moyens humains et financiers supplémentaires que cela demanderait. Déjà maintenant, la situation est tendue, si bien que l’ASBL ne pourra continuer sans renforts. Jacques Schroeder précise : «On doit absolument trouver une coordinatrice de campagne l’année prochaine. Et on a besoin aussi d’une ou deux personnes pour nous aider dans la partie plus administrative, la logistique.» «L’ASBL couvre plus de la moitié des communes du territoire, notamment dans le Nord», conclut-il. Ce n’est pas rien.