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[Exposition] Le «triple S» est toujours dans la place


(Photos : editpress / alain rischard)

Spike, Stick et Sumo reviennent investir le Skatepark de Hollerich, où la scène du graffiti «made in Luxembourg» posait ses marques il y a trente ans. Avec un livre et une folle sélection d’œuvres, ils y célèbrent une amitié créative. Ambiance.

Non, Spike, Stick et Sumo ne sont plus ces jeunes garçons qui, casquette sur la tête, masque sur le nez et bombes de laque pour voiture en main dénichées en supermarché, traînaient leurs ombres dans la nuit à la recherche d’un mur à taguer. Mais il reste chez eux cet appétit pour la spontanéité et le «freestyle», comme le montrait mercredi soir le vernissage de leur exposition commune, au sein du berceau du graffiti national : le Skatepark de Hollerich. Ils sont en effet «à la bourre», la tête dans les livres qu’ils signent les uns après les autres comme de véritables stars. Entre deux dédicaces, Stick lève la tête et souffle : «Purée, il y a plein de gens !». Spike, lui, gère l’intendance, un brin irrité par la queue qui grandit devant lui, encore et encore. Sumo, enfin, s’éclipse du chaos et glisse dans un rire : «Quelle bataille ! On n’a pas dormi… Une grosse partie de l’exposition a été montée cette nuit. On a longtemps douté d’être prêts aujourd’hui.» Mais comme à l’époque, les traits tirés et les cernes en plus, le trio est bien là. Dans la place.

Celle-ci leur a ouvert les bras en 1998, scellant définitivement leur rencontre et une amitié née trois ans avant, grâce à un éducateur qui va les réunir rue de Strasbourg. Jusque-là illégale, leur pratique tend à se chercher une légitimité, notamment sous l’impulsion des pouvoirs publics de l’époque. De vandales, ils deviennent artistes. L’idée fait son chemin jusqu’aux murs des anciens abattoirs, puis dans la cour de l’Atelier. La philosophie reste toutefois la même : peindre librement, sans autre intention que de s’amuser et d’améliorer son style, tout en éloignant le spectre menaçant de la police. Spike, enfin libéré de sa tâche, lâche le marqueur et se souvient : «Le graffiti est là pour être exercé. Notre génération n’était pas la première à en faire, mais elle a fondé une scène, l’a établie dans un lieu visible. Avant, les graffeurs étaient éparpillés. Là, on était tous ensemble». Et c’est tout le milieu du hip-hop, du Luxembourg mais également de la Grande Région, qui va en profiter pour s’y enraciner.

Aux platines, Jerry Libardi, 60 ans, enchaîne les disques mais entre deux sons, prend justement le temps pour parler des pionniers de la discipline, dont il a fait partie en compagnie de trois copains. Un vétéran qui chuchote quand il parle de leurs méfaits, aujourd’hui prescrits, mais qui retrouve sa voix quand il parle des «héritiers», fier aussi qu’ils lui laissent une belle place dans le livre. Dedans, en effet, un article du Tageblatt daté de 1984 et une photo sur laquelle on voit le premier graffiti authentifié au pays. «Sans le journal, tout ça serait perdu», dit-il, avant de montrer l’inscription. «Here is the Bronx !», peut-on lire sur des façades en réfection à Esch-sur-Alzette. Ce qui le fait toujours marrer : «C’était dans un quartier délabré, mais il n’y avait pas le même taux de criminalité qu’à New York !»

À Hollerich, plus d’une décennie plus tard, la scène va perdre en intensité et en imprudence ce qu’elle va gagner en inventivité. Sumo : «C’était notre maison, notre terrain de jeu, précise-t-il. On y passait tout notre temps, on s’inspirait mutuellement… Et maintenant, on y expose. C’est inespéré !». Sur les murs, ce sont en effet trente ans de production tous azimuts qui s’affichent, avec tous les symboles qui vont avec : bombes de peinture, «Blackbook(s)» (carnets d’esquisses) et signatures stylisées répondent à des objets beaucoup moins convenus, comme un jerricane d’essence ou un masque de soudeur. Sans oublier les goodies qui confirment la notoriété du graffeur, apprécié des galeries et qui, par le passé, a customisé une Porsche et même un avion de Luxair (une maquette est visible sur place). «Le graffiti s’incruste partout !», lâche-t-il. À cela s’ajoutent, pêle-mêle, des dessins, des toiles et des photos, dont certaines défilent depuis un rétroprojecteur, témoignant de l’évolution «touche-à-tout» des trois artistes, qui ont volontairement choisi d’entremêler tout leur travail.

C’était fantastique d’ouvrir la malle à souvenirs !

C’était notre maison, notre terrain de jeu

«C’est une manière d’affirmer que l’un ne va pas sans les deux autres, explique encore Sumo. C’est le mélange qui rend tout ça intéressant.» De quoi rendre son camarade Spike nostalgique : «C’était fantastique d’ouvrir la malle à souvenirs ! C’est vrai, on connaît le travail de chacun, mais on ne l’avait jamais vu de la sorte, compilé à travers différentes périodes et sur différents supports. C’est une expérience unique, même pour nous !». Au point qu’aucun des trois n’est capable de dire combien d’œuvres ont été sorties des cartons. Pour le livre, intitulé SSS (à prononcer Triple S), on a par contre tenu les comptes : un gros pavé de 544 pages et de plus de 1 000 images, disponible en trois couleurs, dans lequel on trouve «de nombreuses anecdotes et histoires», dans une approche rétrospective qui ne se cache pas. «C’est une manière de revenir à la source», précise Spike, vite prolongé par son acolyte : «Oui, la boucle est bouclée.» Et puis, «trente ans de graffitis, ça se fête !», ponctue Stick.

Un morceau d’Histoire qui, non seulement, a laissé des traces sur les murs, certes maintes fois recouverts, mais aussi dans les esprits et les cœurs. «L’art, c’est resté une passion», reconnaît Spike. Ce n’est pas Stick qui va dire le contraire : «On a toujours l’énergie et l’envie de créer.» Et si Sumo, lui, en a fait son gagne-pain principal, il garde d’abord en tête cette amitié indéfectible. «Chacun a tracé son chemin, mais on a grandi ensemble. Et ça, rien ni personne ne nous l’enlèvera.» Trois potes qui, désormais, ne peignent que rarement ensemble, mais qui arrivent encore, disent-ils d’une même voix, «à se réunir autour d’un projet… ou d’un verre !». Ils ont dû savourer celui de mercredi soir, après une soirée éprouvante. «On ne pensait pas avoir un tel impact, que les gens se souviennent de notre nom… C’est juste fou !», s’étonne Sumo, juste «heureux» d’être là, dans ce lieu qui lui a permis de «devenir artiste».

D’autres depuis ont suivi, appuyés par une politique culturelle qui a favorisé «l’émancipation de toute une scène», indique Spike – au point qu’on la confond avec le «street art». On pourrait citer, entre autres, l’ASBL I Love Graffiti ou le projet «Kufa’s Urban Art» à Esch-sur-Alzette. Stick confirme : «On observe un renouvellement depuis quelques années au Luxembourg, notamment dans le lettrage, la base même de la discipline. Tous les évènements, et tous les gens actifs dans la culture, y contribuent. Ça crée des vocations et ça fait des bébés.» «Place aux jeunes !», conclut Sumo. Moment choisi par un groupe d’adolescents pour débarquer en skate, rap en fond sonore, jetant un regard aux peintures sur les murs à l’extérieur. Dans leurs yeux, une évidence : la relève est prête à marquer son territoire.

«30 Years of Spike · Stick · Sumo»
Skatepark (rue de l’Abattoir) de
Luxembourg-Hollerich.
Ouverte les 8-9, 15-16, 22-23 novembre
et le 29 novembre, de 14 h à 19 h.

 

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