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[Bande dessinée] «Silent Jenny» : tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir !


Désirant plonger le lecteur dans un univers «plus organique et plus immersif», l’auteur a réalisé l’encrage au pinceau et à la plume, avec un grand soin porté aux détails. (Photo Label 619)

Après Shangri-La et Carbone & Silicium, Mathieu Bablet conclut sa trilogie de science-fiction avec une fable écologique qui, à rebours des récits désenchantés, place l’humain en son centre avec cette question : comment faire société autrement ?

Il ne faut jamais cesser d’y croire

L’histoire

Dans un futur lointain, les insectes pollinisateurs ont disparu à la suite de grands bouleversements climatiques, poussant les humains à arpenter des paysages stériles à bord de «monades», des vaisseaux-villages motorisés. C’est dans l’une d’elle que vit Jenny, déterminée à récupérer les dernières traces ADN d’abeilles dans l’espoir de retrouver le monde d’avant…

Comme il le raconte auprès du label 619, Mathieu Bablet se définit comme un «éco-anxieux», ou plutôt comme un «citoyen» qui ne détourne par le regard face à «ce qui nous arrive en pleine gueule». Plombé par un capitalisme ravageur, un consumérisme aveugle, la toute-puissance des grosses entreprises, la technologie rédemptrice et, au bout, ceux qui restent sur le carreau, il en a fait le terreau d’une œuvre où la science-fiction n’est qu’un prétexte pour évoquer des problématiques bien actuelles : le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources naturelles, la peur de l’autre, les manipulations génétiques…

De ses questionnements et ses craintes naîtra un premier roman graphique, Shangri-La (2016), puis un second, Carbone & Silicium (2020). Deux pavés vendus à quelque 400 000 exemplaires, qui imposent le talent d’un auteur aux univers riches et désenchantés.

Un album moins «nihiliste»

Silent Jenny vient désormais boucler la boucle, aussi imposant dans sa forme que dans les idées qui l’habitent. Mais il fait toutefois un pas de côté par rapport à ses prédécesseurs, moins «nihiliste» dans le ton. Après l’aventure dans l’espace et celle cybernétique, place alors à une fable écologique. «Je voulais quelque chose de plus organique, portée sur le vivant», confie l’auteur âgé de 38 ans, déjà à l’œuvre cette année avec le manga Shin Zero (où les superhéros japonais sont devenus des travailleurs ubérisés) et le jeu vidéo Cairn, auquel il a prêté son dessin.

Car selon lui, la science-fiction permet de «tester des futurs possibles» et, dans ce sens, il est envisageable de parler de l’effondrement «sans tout peindre en noir». D’où ses références au «hopepunk» (sous-genre littéraire qui met en avant un espoir contestataire) et au «solarpunk» (partant de l’harmonie de l’homme et de la nature), véritable «bouffée d’air frais».

Quatre ans de travail

Le monde de Silent Jenny n’est pas pour autant joyeux, avec ses teintes sableuses façon Mad Max. Normal : tous les insectes pollinisateurs ont disparu de la Terre, et plus rien n’y pousse ! Un futur lointain où les villes ne sont que des «taudis» infestés de maladies, accablés par la chaleur et structurés autour de Pyrrhocorp, conglomérat sans partage. C’est pour lui que Jenny, solitaire et taiseuse, bosse, miniaturisée pour partir dans l’infra-monde à la recherche d’ADN d’abeilles. Le reste du temps, elle taille la route à bord d’un des «monades» qui sillonnent la poussière et les cailloux, sorte de ZAD (zone à défendre) sur chenille qu’aurait pu inventer Miyazaki, et qui «n’a pas d’autre mission que le mouvement». À leur bord, des humains réunis en communautés libres et autogérées ayant tourné le dos à la «mondialisation» et à la «centralisation». Mais que faire si la solitude vous pèse et l’espoir vous fuit, comme Jenny ?

Il a fallu quatre ans de travail à Mathieu Bablet (de loin son projet le «plus ambitieux») pour venir à bout de cette histoire inspirée d’une vidéo YouTube où, retrace-t-il, «des travailleurs chinois pollinisaient à la main des champs de poiriers» et de cet article dans un journal qui mentionnait des drones, aux États-Unis, remplaçant les abeilles. D’où cette interrogation face à cette «catastrophe» qui se profile : «comment reconstruire le monde ?».

 Une science-fiction «plus humaniste»

Le sien, dans le sillage des œuvres de Becky Chambers ou Ursula K., s’engouffre dans une science-fiction «plus humaniste», car celle-ci peut «proposer autre chose que le désespoir», comme «des pistes d’avenir, des dynamiques de transformation, de réinvention». Un sujet qu’il développe dans un monde où l’humain est central, organisé en différents groupes (les «microïdes», les «mange-cailloux», les «pénitents»…) cherchant à survivre – et parfois à s’entraider. Bref, à faire société.

Désirant plonger le lecteur dans un univers «plus organique et plus immersif», l’auteur a réalisé l’encrage au pinceau et à la plume, avec un grand soin porté aux détails, foisonnants comme l’étaient les dessins de deux autres références des années 1970 : Philippe Druillet et Moebius, compères chez Métal hurlant. Le résultat est à nouveau époustouflant, avec des pleines pages (voire des doubles) précises et inventives.

Dans l’infiniment petit, aux larves et aux personnages calcifiés, jusqu’au monde du dessus, pollué jusqu’à l’os, le spectre de la mort vient parfois y faire une apparition, impatient de ruiner les maigres perspectives d’avenir. Mais comme le dit un personnage, «il ne faut jamais cesser d’y croire». Une affirmation qui pourra répondre à la question qui tourne dans la tête de Jenny : «Comment fait-on pour se sentir à nouveau vivante ?».

Silent Jenny, de Mathieu Bablet. Label 619.

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