Avec la coproduction internationale Stitch Head, arrivée en salles juste à temps pour Halloween, les Luxembourgeois de La Fabrique d’images se sont frottés à leur projet le plus ambitieux, augurant un «moment important» pour la société.
«Le fait qu’un film comme Stitch Head soit arrivé chez nous, c’est un peu miraculeux !», lance Mark Mertens, catégorique.
Basé à Differdange, le studio La Fabrique d’images, dont il est l’un des principaux producteurs, sort aujourd’hui son nouveau film d’animation (distribué par Tarantula) dans deux versions (VO anglaise et doublage luxembourgeois sous le titre Bitzbouf), et non des moindres : le premier film d’animation du réalisateur britannique Steve Hudson a l’ambition de se poser en nouveau classique d’Halloween.
Et il a les atouts pour. Avec sa folie débridée, son inventivité visuelle et son budget de quelque 26 millions d’euros – une somme «exceptionnelle, pas seulement au Luxembourg, mais à l’échelle européenne» – , le film peut s’asseoir sans rougir à la table de The Nightmare Before Christmas (Henry Selick, 1993) ou Corpse Bride (Tim Burton, 2005).
Le film, basé sur une série de livres signés Guy Bass, suit la toute première créature fabriquée par un savant fou qui crée des monstres à tour de bras pour les abandonner aussitôt.
Haute comme trois pommes et ignorée par son créateur, c’est pourtant elle qui entretient le château et s’occupe des monstres. Mais derrière sa loyauté sans faille, le petit humanoïde souffre de sa solitude et rêve d’une vie meilleure – une vie de gloire que lui promet le patron d’un «freak show» ambulant qui vient de s’installer en ville…
Le projet est arrivé entre les mains de La Fabrique d’images dès les premières étapes, à travers la productrice allemande Sonja Ewert : «Elle avait entendu parler de possibilités de financement au Luxembourg. Puis, elle est venue nous voir et nous avons monté un dossier ensemble que le Film Fund, heureusement, a suivi», raconte Mark Mertens.
Concrètement, Stitch Head a représenté plus de cinq ans de travail, entre fin 2019 et début 2025, pour les équipes de La Fabrique d’images. Une grosse partie du travail a été réalisée dans les studios de Differdange : la modélisation 3D, le «texturing» et le «rigging» (ou «squelettage») des personnages du film ainsi que la majorité des décors.
«Améliorer nos compétences»
En sa qualité de directeur artistique maison, Stéphane Lecocq a été le «bras droit» du réalisateur dès les premières recherches graphiques jusqu’au bouclage du long métrage : «Cinq ans de travail sur un seul film, ça ne m’était jamais arrivé», note-t-il. «Mon boulot, c’est de concilier les possibilités dues au budget et les demandes du réalisateur. Parfois, ce dernier sait ce qu’il veut mais ne sait pas comment mettre ses idées en forme.»
Steve Hudson est un bon exemple, puisqu’il s’agit de son premier projet en animation après plusieurs films live : «Il a fallu l’entraîner aux codes de l’animation 3D.
Si, dans l’image, tel objet qui se trouve ici doit en fait être là, cela demande beaucoup plus de modifications que simplement déplacer l’objet et refilmer le plan», détaille Stéphane Lecocq.
Après «cinq ou six mois de travail», la pandémie de Covid-19 a ralenti l’avancée d’un film dont la conception de l’image a été partagée en tout entre sept studios (cinq en Allemagne, un en Inde et le studio luxembourgeois).
«En animation, on ne travaille pas de manière « normale ». Ici, tout est stocké sur nos serveurs et dans le cloud, et chaque studio a à disposition les parties sur lesquelles il doit travailler, explique le directeur artistique. La plupart des artistes ayant des stations de travail chez eux, ce n’était pas très compliqué de faire travailler les gens à distance.»
Et bien qu’une «grosse partie» des plus de 70 personnes ayant travaillé sur le film à la Fabrique d’images ait été mise en «chômage technique», «avoir un gros projet comme celui-ci à une telle période, ça a été l’occasion d’améliorer nos compétences».
«Nos modèles, c’est Disney et Dreamworks, mais eux travaillent avec des budgets de 100 millions de dollars et plus», raconte Stéphane Lecocq. «Stitch Head, c’est ce qui s’en approchait le plus : on avait la largesse de passer une semaine entière sur un seul plan, de refaire plein de choses et, en retour, le niveau des équipes a augmenté considérablement. En testant de nouvelles technologies, de nouvelles approches, on sait maintenant faire des choses qu’on ne savait pas faire avant, et plus vite. Ça a marqué un jalon, ça a fait grandir tout le monde.»
«On a pu se faire plaisir», seconde Mark Mertens, qui maintient que «l’ADN du studio» réside dans le fait d’avoir une équipe «polyvalente», «capable de sauter d’une tâche à une autre».
Quand le producteur est arrivé en 2020, La Fabrique d’images avait déjà fait depuis quelques années le grand saut de la télévision au long métrage. Le catalogue déjà impressionnant de la société (qui a travaillé sur les séries Petit Ours Brun, Le Petit Prince ou Iron Man : Armored Adventures, le film Ooops! Noah Is Gone et sa suite…) a depuis «lentement glissé vers des productions qui montrent toujours un peu plus d’ambition», assure Mark Mertens.
Il y a eu le très beau Funan (Denis Do, 2018), qui avait remporté la plus haute distinction au festival d’Annecy, ou La Sirène (Sepideh Farsi, 2023), des «films d’auteur» plutôt destinés à un public adulte, mais «distribués de manière plus confidentielle» que les films grand public qui font la ligne éditoriale de la société, principalement à destination des spectateurs «entre 5 et 11 ans».
«Deux entités»
Sous l’appellation La Fabrique d’images se cachent, en fait, «deux entités» : la maison de production – La Fabrique d’images, donc – et le studio – The Picture Factory.
Avec la première, «on développe nos propres projets», en allant à la recherche de partenariats et de financements, tandis que le studio, bien qu’il «s’occupe primordialement des projets en interne», peut être amené à contribuer à un projet de commande ou réaliser des prestations pour d’autres producteurs luxembourgeois (comme Funan et La Sirène, produits par BAC Films, ou le prochain Allah Is Not Obliged, de Paul Thiltges Productions).
Et si celles-ci arrivent entre leurs mains, c’est pour une raison simple : «On est les meilleurs», résume Mark Mertens, l’air sérieux mais l’œil pétillant.
Après le dur labeur réalisé sur Stitch Head, La Fabrique d’images ne compte pas freiner son rythme pour autant – au contraire, «le moment n’a jamais été aussi important», dit le producteur.
La télé «reste toujours une envie et quelque chose d’intéressant pour nous», avec notamment la série Dinomite & Lucy, en cours de diffusion sur RTL et qui devrait connaître une deuxième saison, mais «l’activité principale» du moment est resserrée à un «petit cercle», avec pas moins de trois films en cours, tous développés en interne (lire encadré).
Et puisqu’il faudra du temps avant leur sortie, l’équipe de La Fabrique d’images espère pour le moment un «beau succès» avec Stitch Head, ce grand film fou qui convoque autant les figures de Frankenstein et Pinocchio que le cinéma gothique de Tim Burton et l’humour furieux des Monty Python.
«Avoir du public, c’est le plus important, plus que les prix et les festivals. Ce film s’adresse à une audience très large et on a cette chance qu’il sorte sur beaucoup de territoires. Pour moi qui aime que le public voie ce qu’on a créé, qu’il découvre ce qui est possible au Luxembourg, c’est fantastique.»
Stitch Head, de Steve Hudson.
Objectif Luxembourg
Après un film monstre (dans tous les sens du terme), La Fabrique d’images se recentre sur une série de projets «développés et réalisés ici, et financés majoritairement au Luxembourg», souligne Mark Mertens.
À partir de la sortie, aujourd’hui, de Stitch Head, il faudra compter sur un rythme de croisière d’«une sortie par an, voire deux» pour ses prochains longs métrages, tous dirigés par un cinéaste maison.
Ainsi, le film Spiked, de Caroline Origer, a été terminé au premier semestre 2025 : le film raconte l’histoire d’une jeune hérisson intrépide, embarquée malgré elle dans le délire légendaire d’un lapin qui se croit guerrier.
Le film, déjà sorti dans plusieurs pays, devrait débarquer sur les écrans luxembourgeois début 2026. Au même moment, Dudley and the Invasion of the Space Slugs, de Cherifa Bakhti, qui met en scène une grenouille tentant de sauver son étang d’une invasion extraterrestre, devrait «être prêt», indique le producteur, précisant que la date de sortie «n’est pas encore définie» pour ce projet.
Federico Milella, un autre auteur chouchouté à La Fabrique d’images, est en pleine production de son nouveau long métrage, The Last Dinosaur, attendu en salles pour 2027.
Son nom est aussi attaché à la réalisation de The Defects, un projet encore dans ses premières étapes de développement, qui se déroule dans l’univers alternatif et aux accents «steampunk» de l’artiste Stéphane Halleux (Mr Hublot).
Enfin, le dernier projet entré en production à La Fabrique d’images s’intitule Arvil, The Little Falcon, des réalisateurs Marco Serafini et Aline Salvi. «Actuellement, beaucoup de studios d’animation ont des difficultés. Nous, on a vraiment une chance énorme de pouvoir tenir ce rythme, qui plus est avec nos films à nous», conclut Mark Mertens.