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Le cordonnier qui a Hollywood à ses pieds


Chris Francis n’est pas qu’un simple cordonnier de Los Angeles : il est à la tête d’une improbable collection de moules des pieds des stars du cinéma. Un trésor d’un autre âge qui raconte comment le métier a périclité, à deux pas d’Hollywood.

Dans son atelier de Los Angeles, Chris Francis empile les boîtes à chaussures du sol au plafond. À l’intérieur, des moules des pieds des plus grandes stars d’Hollywood, confectionnés au cours de plus d’un demi-siècle pour leur fabriquer des souliers sur mesure. «Il y a un peu de tout le monde ici !», sourit le cordonnier, au milieu de ces archives inestimables.

Sur les boîtes jaunies par le temps, on retrouve tout le gratin de la Cité des Anges : Elizabeth Taylor fait ainsi du pied à Peter Fonda, Tom Jones et Harrison Ford. Dans une autre pile, Sharon Stone marche sur Liza Minnelli et Goldie Hawn. Plus loin, on trouve aussi les pieds de Sylvester Stallone et d’Arnold Schwarzenegger.

Chris Francis a acquis cette collection improbable quelques années après la mort en 2008 de Pasquale Di Fabrizio, un Italien connu à Los Angeles comme «le cordonnier des stars». «Il a travaillé pour tout le monde, des propriétaires de casinos aux acteurs en passant par les artistes de Las Vegas, Broadway, Hollywood, le cinéma… Bref, tous ceux qui se produisaient sur scène entre les années 1960 et 2008», raconte Chris Francis.

Dans certaines boîtes, on retrouve également des autographes et des dédicaces. D’autres, comme celles de Sarah Jessica Parker ou de la chanteuse de The Sound of Music (1965), Julie Andrews, contiennent des dessins provenant de productions télévisées ou cinématographiques.

Les célébrités se vantaient du prix qu’elles avaient payé pour une paire de chaussures

Avec son industrie créative vorace et son besoin constant de se démarquer des autres, Hollywood était autrefois un endroit rêvé pour un cordonnier, selon Chris Francis. «Les célébrités se vantaient du prix qu’elles avaient payé pour une paire de chaussures et voulaient quelque chose que personne d’autre n’avait», explique-t-il en sortant une boîte contenant les moules d’Adam West, l’acteur qui a incarné Batman dans la série originale des années 1960. Lui-même a commencé sa carrière dans la couture. Il a décroché son premier contrat après avoir été repéré en train de coudre une veste en cuir sur un banc public.

«Ici, à Los Angeles, c’est facile d’être au bon endroit au bon moment», rit-il. Mais son rêve était de confectionner des chaussures. Alors il a commencé à apprendre seul dans sa cuisine. «Au début, elles étaient assez rudimentaires», confie-t-il. À la recherche des meilleurs professeurs, il a écumé tout Los Angeles pour trouver un stage pratique. Il a ainsi fini par apprendre le métier auprès de cordonniers arméniens, russes, iraniens ou syriens. «Ils ne disaient rien ou ne parlaient pas très bien anglais. Il fallait donc observer et apprendre, puis apprendre en refaisant les choses encore et encore.»

De quoi lui transmettre l’exigence du métier. «Il n’y a pas de place pour l’erreur dans la fabrication de chaussures», résume-t-il. «Si vous ratez une étape, si vous bâclez un truc, les vingt étapes suivantes pourraient en pâtir. Il faut donc être précis à chaque instant.» Mais ce savoir-faire méticuleux est de moins en moins apprécié. Là où Burt Reynolds ou Robert De Niro étaient autrefois heureux de débourser quelques milliers de dollars pour une paire sur mesure, les stars d’aujourd’hui ne se jettent plus beaucoup aux pieds des artisans. «Je constate que de plus en plus de célébrités veulent des chaussures gratuites, ce qui tue les cordonniers comme moi !», soupire Chris Francis, sous ses tatouages et son allure de rockstar.

Parfois, il regrette de ne pas avoir écouté certains de ses anciens maîtres. «Ils me disaient de rejoindre un groupe de musique», raconte-t-il. «Quand j’ai commencé, l’un d’eux m’a dit : Mais pourquoi tu veux devenir cordonnier ? De nos jours, on peut acheter des chaussures pour vingt dollars». À 48 ans, l’artisan voit aujourd’hui certains confrères renoncer à la création de chaussures sur mesure, pour se contenter de réparer les souliers produits en série qui inondent le marché. «En tant que profession, c’est extrêmement difficile de survivre», conclut-il.

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