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Mort de Rafael : amener un couteau à Bonnevoie, « une idée à la con »


Le deal de drogue a mal tourné à Bonnevoie. (Photo : hervé montaigu)

L’homicide reproché à Shayne prouve que se promener armé n’est pas du tout une bonne idée. Il a ôté une vie et brisé la sienne, même s’il répète ne pas avoir agi volontairement.

Shayne est assis à un bout du banc des accusés. Jason à l’extrémité opposée. L’un a tué l’ami de l’autre d’un coup de couteau de cuisine en plein cœur. Tous deux ont le regard levé vers le grand écran de la salle d’audience 1.10 du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. La reconstitution de l’altercation mortelle y est projetée. Trois mois après le crime, les mémoires des protagonistes se contredisent sur certains points.

«Rafael a sorti une matraque et a voulu me frapper. J’avais une sacoche, je lui ai dit de tout prendre et qu’on allait bouger», raconte Filipe. Devant lui, un policier joue le rôle de Rafael, la victime. Jason s’oppose : «Il n’a jamais été question d’une sacoche.» Des parties des différents récits manquent, se contredisent ou n’ont aucun sens. Le film de l’altercation est difficile à reconstituer pour les magistrats présents.

Au sol, à l’endroit où Rafael, 18 ans, s’est écroulé, sont encore posés des bougies et des bouquets de fleurs. Les protagonistes tournent autour. «Je ne sais plus exactement comment cela s’est passé», répond Shayne après avoir écouté la version de Sébastien, un ami de Rafael et de Jason, arrivé en pleine bagarre. «Rafael est tombé là, c’est vrai. Moi, j’étais plus loin. On est revenus pour récupérer la drogue. Rafael était déjà à terre. Alors on est parti pour de bon.»

Jason assure qu’ils sont revenus sur leurs pas pour s’en prendre à lui. «Filipe a voulu en profiter parce que je me retrouvais seul. Il avait la matraque dans une main et un couteau dans l’autre.»

Du sang sur les mains

«Je ne voulais pas y aller. Filipe a insisté», raconte Shayne. «Filipe y serait allé seul, d’après ce qu’on a appris sur lui dans le dossier», lui répond la juge, à deux doigts de lui passer un savon. «Quelle était votre idée quand vous avez embarqué le couteau?», veut-elle savoir. Shayne répond que c’était pour intimider l’autre et se sentir en sécurité. Bonnevoie est dangereux le soir. La juge le tance : «Vous avez pris le risque de l’utiliser. C’était une idée à la con!»

Confronté à Rafael, pendant que Filipe se bat avec Jason et une matraque, Shayne balaye l’air devant lui avec son couteau pour maintenir Rafael à distance. «Je lui ai crié de se casser. Il continuait d’avancer vers moi. Il m’a donné un coup de poing. J’ai vu noir, je ne voyais plus rien, j’ai eu peur, j’ai réagi, j’ai fait un geste», explique Shayne. «C’était instinctif.» Il insiste. Il n’a jamais voulu tuer Rafael. En tout cas, il n’avait pas emporté l’arme pour cette raison.

La fuite plaide contre le coup de couteau par accident, selon la juge. «Vous avez dû sentir que vous l’aviez touché. Pourquoi ne pas avoir prévenu les secours?» «On ne pense pas de manière logique et normale dans ce type de situation. Sébastien nous poursuivait avec un couteau et une matraque.» Dans le bus, il réalise qu’il a du sang sur les mains. La suite, il s’en doute.

Filipe, dans sa déposition, affirme que Shayne lui aurait confié avoir frappé à deux reprises. «Il a du mal comprendre», répond le prévenu. Il lui est également reproché d’avoir blessé Jason avec son couteau. «C’est impossible. Je n’ai pas eu le temps de le poignarder.» Il a pu le faire lors d’un corps-à-corps, à moins que le coup n’ait été porté par Filipe. L’ADN de Jason et le sien ont été trouvés sur le couteau, lui rappelle la juge. «Cela ne s’est pas passé étape par étape. Tout était confus. Si tout était logique, rien de tout cela ne se serait produit», argumente Shayne fermement mais posément.

«Besoin qu’on le punisse»

Sceptique au début, son éducateur depuis quatre ans a fait une belle rencontre avec «un jeune qui sort du lot, très empathique et très intéressant». «Il se flagellait et me disait qu’il avait besoin qu’on le punisse. Il s’en voulait énormément, faisait constamment référence à Rafael», précise-t-il. «Il m’a beaucoup touché.» Frustré aussi. «Il ne terminait jamais ses stages. Humainement, cela se passait bien, mais il a du mal à prendre des initiatives, à se projeter.» Depuis son crime, «il vit comme il peut».

«Il ne faut pas croire qu’il vit sereinement depuis les faits. Il vit en spectateur de sa vie. Il en souffre. Il a des moments de grosse déprime», note l’éducateur, qui le défend bec et ongles. «C’est quelqu’un d’humain.» «Ce n’est pas lui la victime», le coupe la présidente. «Sa situation va se résoudre assez rapidement. Du moins en première instance.» Le procès continue ce matin avec le réquisitoire et les plaidoiries.

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