Quelle bande a lancé les hostilités qui ont mené à la mort de Rafael? Les juges ont tenté de reconstituer les faits malgré les versions divergentes et les intérêts des uns et des autres.
Un mineur qui tue un adolescent à peine majeur. L’affaire avait secoué le Grand-Duché en janvier 2021. Le film de l’agression avait rapidement envahi les réseaux sociaux diffusant l’horreur en différé. Rafael, 18 ans, s’est écroulé en pleine rue, touché au cœur par un couteau de cuisine brandi par Shayne, un an de moins. Les tentatives de réanimation s’avèrent vaines. Une artère coronarienne est touchée. Le jeune homme a succombé à une hémorragie interne.
À l’origine de cette altercation à l’issue tragique, une très mauvaise idée de Jason, qui à voulu jouer un tour à son coprévenu et à Filipe, 15 ans. Sachant que ce dernier vend des stupéfiants, il simule un deal de cannabis à Bonnevoie. Deal qui tourne mal. Shayne et Jason sont jugés cette semaine par la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Filipe le sera plus tard par le tribunal de la jeunesse.
Francesco a vu le couteau. Il se rendait chez des amis qui vivaient dans la cour du Couvent à Bonnevoie quand il a croisé des jeunes qui se battaient. «Je n’y ai pas prêté attention jusqu’à ce que j’aperçoive un couteau», s’est-il souvenu. «Quelqu’un tenait le couteau. En Italie, d’où je viens, on nous apprend à nous mettre à l’abri et à prévenir la police en priorité quand on voit un couteau. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas vu l’action.» Ses amis étaient déjà au téléphone avec la police.
«Shayne réfute le règlement de compte»
Shayne avait caché dans son pantalon le couteau pris dans la cuisine. À l’enquêteur de la police judiciaire qui l’interrogeait, il a indiqué ne pas avoir voulu blesser et encore moins tuer Rafael. Après les faits, Filipe et lui ont sauté dans le premier bus qui passait rue de Bonnevoie pour rentrer au domicile du second. La police les y attendait déjà. «Rafael et Filipe auraient commencé à élever le ton. Shayne dit avoir cru que Rafael essayait de les voler», explique l’enquêteur. La présidente émet l’hypothèse que Rafael et Jason auraient pu vouloir obtenir des stupéfiants sans débourser un euro.
«Shayne réfute le règlement de compte», ajoute l’enquêteur. «En temps normal, il n’est pas armé d’un couteau, sauf le soir dans Bonnevoie. Le quartier est dangereux et cela le rassure. Il se sent coupable.» Mais il assure ne pas avoir blessé Jason qui a reçu un coup de couteau dans l’aine, mais ne s’en est pas rendu compte tout de suite.
Un piège fatal
Qui a fait quoi? Pourquoi? La thèse du faux deal de stupéfiants qui a mal tourné suite aux insultes sur Snapchat est la plus plausible, selon les versions des différents protagonistes, à l’exception dans un premier temps de celle de Filipe – connu des autorités pour se livrer à des petits trafics – avant qu’il ne revienne sur ses propos. Selon Jason, le but de la manœuvre aurait été de les attirer à Bonnevoie pour voler la drogue de Filipe. Un ami a retiré en vitesse avant l’arrivée de la police un pochon de 5 grammes de cannabis du blouson de Rafael pour le cacher.
D’interrogatoire en interrogatoire, on s’y perd. Chacun protège ses intérêts et ceux de ses amis. Les conversations sur Snapchat ont disparu et tous ont été contrôlés positifs aux stupéfiants. La bande de Rafael aurait été surprise de découvrir que les deux autres étaient armés de couteaux. Certains témoignages indiquent que Filipe se serait lui aussi armé pour se rendre au rendez-vous. La présidente a rappelé que quand on emporte un couteau, c’est généralement avec l’idée de s’en servir.
L’audience d’hier s’est poursuivie par le visionnage de la reconstitution des faits. Filipe y indique avoir remis un pochon de cannabis à Rafael. Jason aurait alors attaqué Shayne qui l’avait reconnu comme étant celui qui les avait insultés sur l’application de rencontres. Le film dure plus d’une heure.
Shayne montre ensuite comment il a gesticulé de gauche à droite et de droite à gauche avec son couteau. «Je leur ai dit de se tirer et je les ai traités de pigeons. C’est là que j’ai pris un coup à la tempe», raconte le jeune homme à la juge d’instruction. Groggy, il aurait asséné –plus par réflexe qu’intentionnellement – le coup de couteau à Rafael. Les pièces du puzzle se placent petit-à-petit.