Mobb Deep
Infinite
Sorti le 10 octobre
Label Mass Appeal
Genre rap
Plus fort que jamais, je suis de retour» : les mots en ouverture du neuvième (et, semble-t-il, dernier) album de Mobb Deep sont de Prodigy, moitié du légendaire duo new-yorkais mort en 2017, à 42 ans, de complications liées à une maladie génétique.
Une disparition vécue comme un choc, trois ans après la sortie de The Infamous Mobb Deep (2014), un double album vénéneux à souhait, qui voyait revenir le duo, devenu rare et encore récemment en froid, sous le signe du nihilisme de leurs débuts – et pour cause, le second disque compilait des inédits et chutes de studio de l’époque de The Infamous (1995), l’album qui a fait d’eux des légendes du rap East Coast.
C’était compter sans Havoc, l’autre moitié du groupe, et sa nécessité assumée de faire perdurer une entreprise qui avait encore beaucoup à nous dire en ces temps pour le moins incertains. Après tout, on parle de ceux qui ont secoué le «game» avec Shook Ones, Part II, avec son instrumental devenu l’un des plus emblématiques du rap américain et des paroles dont la noirceur et la violence sont, 30 ans plus tard, restées intactes. Une histoire malheureuse dont on prédit qu’elle ne finira jamais.
Huit ans après la disparition de Prodigy, lui et Havoc apparaissent côte à côte sur la pochette d’Infinite, et c’est tout le sentiment que véhicule l’album : à la fois un hommage à l’un des lyricistes majeurs du rap US et l’évolution d’un duo qui, bien que physiquement impossible à réunir, ne peut décidément pas exister autrement.
Le projet étant né sous la bannière du label Mass Appeal – le label de Nas, l’autre grand représentant, avec Mobb Deep, du quartier de Queensbridge –, il fallait y voir un gage de qualité. D’abord car, par le passé, le label avait ressuscité en 2016 The Diary, le génial album perdu de J Dilla (1974-2006), le producteur préféré de vos producteurs préférés.
Ensuite, parce qu’Infinite fait partie d’une nouvelle série intitulée «Legend Has It…», qui en appelle aux géants qui ont fait l’histoire du hip-hop new-yorkais (De La Soul et un album commun de Nas et DJ Premier sont attendus d’ici la fin de l’année).
Quoi qu’il en soit, assurons déjà qu’Infinite a une place à part dans cette nouvelle collection – et, à vrai dire, dans tout le panorama actuel du rap. Conçu à partir d’enregistrements inédits de Prodigy, le disque frappe par sa fluidité, se refuse à tout sentiment nostalgique et évite soigneusement de faire dans l’hommage mielleux et hypocrite.
Sa voix, qui n’est passée par aucun artifice numérique (on devine au mixage le léger grain, à peine audible, qui trahit les années qui séparent l’enregistrement des parties de Prodigy du reste de l’album), est plus vivante que jamais – idem pour ses paroles, sèches et directes, dont la prescience fait parfois froid dans le dos.
Havoc reprend son habituel rôle de chef d’orchestre et doit être crédité du brio avec lequel il construit les passes de micro avec son défunt compère. Il signe la majorité des instrumentaux, faits de boucles naturellement sombres et menaçantes – à l’exception notable des deux parties de Down for You, créées à partir du célèbre Adagio for Strings de Samuel Barber et embellies par les voix de Jorja Smith et H.E.R. Et laisse le soin à The Alchemist, un «partner in crime» privilégié du duo depuis les années 1990, d’augmenter le paysage sonore de sa patte «vintage» et psychédélique (les chœurs de Taj Mahal, la guitare de Score Points ou les violons stridents de Gunfire).
La vieille équipe se fend de quelques clins d’œil à son passé, en invitant Big Noyd, un autre proche de Mobb Deep, pour un couplet assassin sur The M. The O. The B. The B., titre qui offre toute la dimension «thug» et «old school» à cet album, ambiances que partagent l’énervé Mr. Magik et le mordant Easy Bruh – avec comme point commun de faire remuer la tête, signe du plaisir monstre que l’on prend à retrouver le duo de Queensbridge. Un chapitre final qui renoue avec l’essence même de Mobb Deep, les «derniers d’une race en voie d’extinction» (comme ils l’affirment sur Discontinued), par ailleurs célébrée à d’autres moments de l’album (Pour the Henny et My Era). Si ce disque, noir mais pas désespéré, est un adieu, alors il tient solidement leur héritage.