Malgré sa médaille d’or olympique à Tokyo, Jabrane Touili n’a pas fait faux bond aux Sharks. Qui bénéficient de sa science et de son expertise depuis quatre ans.
C’est l’histoire d’un petit garçon de Tunis qui est tombé dans la marmite de la natation quand il était petit, dès l’âge de 3 ans. Lui, c’est Jabrane Touili. Qui va faire parler de lui au sommet de l’olympe quelques années plus tard… et qui fait désormais les beaux jours du club des Sharks.
Le jeune nageur débute en club. Il rejoint l’équivalent du Sportlycée et intègre l’équipe nationale tunisienne. Une aventure qui ne dure qu’un temps. En effet, comme c’est le cas pour de nombreux pays, la Tunisie ne bénéficie pas d’une infrastructure ou d’un système qui permet de mener de front études et sport de haut niveau. C’est ainsi qu’à 20 ans, il raccroche le maillot. Pour se consacrer à ses études : «J’ai fait une double licence à l’université du sport et de l’éducation physique. À la fois comme professeur d’éducation physique et entraîneur de natation.»
En parallèle, il fait ses premiers pas d’entraîneur à Ben Arous, son premier club, où il commence par s’occuper de l’école de natation. Avec déjà une idée très claire en tête : «Dès le premier jour, j’avais un but dans ma tête : devenir l’un des plus grands entraîneurs du monde et essayer de gagner des titres mondiaux ou olympiques.» Vous avez dit prémonitoire…
Jabrane Touili rejoint ensuite le plus grand club omnisport du pays, l’Espérance de Tunis. Et ses résultats lui permettent d’intégrer la fédération. Il a 24 ans : «J’avais un groupe d’une douzaine de nageurs qui a grandi avec moi. Je suis tombé sur une bonne génération. Mais ça ne suffit pas. Il faut avoir un esprit, des méthodes d’entraînement pour les encadrer, les amener à s’améliorer. Avec eux, on a fait des médailles aux championnats arabes, aux championnats d’Afrique juniors. On fait neuvièmes aux championnats du monde juniors. J’ai qualifié deux joueurs pour les JO de la Jeunesse en Argentine. On fait top 8 avec ces deux nageurs…», résume-t-il.
Et à partir de 2019, il va se concentrer sur la pépite Ahmed Ayoub Hafnaoui, qui l’a accompagné pendant toute sa carrière. Et qui va se forger un joli palmarès (finales aux JOJ, 4e des championnats du monde juniors, multiples vainqueurs aux championnats de France et en Mare Nostrum) avant d’arriver aux Jeux de Tokyo, en 2021.
L’objectif est de se qualifier pour la finale afin de prendre date pour Paris. Mission accomplie, avec le couloir n° 8 en finale : «Il m’a demandé s’il pouvait gagner. J’ai pris mon téléphone et je lui ai dit que c’était le selfie avant la médaille.» La suite? Une course de rêve où il explose son chrono de deux secondes et cinq dixièmes, ce qui lui permet de remporter l’or.
Ma femme a envoyé des CV
Ce titre olympique fait entrer le jeune nageur et son entraîneur dans une nouvelle dimension. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Et après huit années de collaboration, l’aventure s’arrête entre le nageur et l’entraîneur. Le premier va à Indiana. Et le second… au Luxembourg!
En effet, malgré les sirènes de grandes universités américaines et les appels du pied des Émirats, Jabrane Touili respecte sa parole : celle de rejoindre le club des Sharks. Une destination plutôt originale. Qu’il n’a pas directement choisie : «J’avais besoin de changer d’air. Ma femme, qui a fait ses études à Colmar et travaillait à Paris, voulait qu’on s’installe ensemble en Europe. Alors elle a envoyé des CV.»
Et l’un d’eux est tombé dans la boîte mail d’Alexis D’Esposito, le président du club des Sharks, au Luxembourg : «C’était début 2021. En voyant son CV de niveau international, on s’est dit que ce serait dur d’embaucher un entraîneur de ce calibre. Mais on cherchait un head coach et un directeur technique, alors on s’est dit « pourquoi ne pas essayer ». On l’a contacté, on a fait un entretien en mai 2021 et on s’est mis d’accord. On a tout de suite accroché sur le plan des valeurs, du respect. On lui a fait une offre et il l’a acceptée.»
Forcément, le président s’est réjoui de voir son futur entraîneur décrocher l’or olympique. Avec, toutefois, une petite angoisse intérieure : «On était contents comme si on avait gagné la médaille. Après, on était inquiets. On a tout de suite vu les grandes universités américaines et les pays arabes s’intéresser à lui. On a tremblé jusqu’au jour où il a bien débarqué chez nous. C’est un homme de parole!»
Un choix que le président ne regrette absolument pas : «On est hyper-contents de son boulot. Il a mis en place un projet, il a réécrit le guide de l’école de natation. Et on peut dire que des produits Sharks sont en train de sortir maintenant.»
Je suis quelqu’un d’exigeant. Je fais nager beaucoup
Ses nageurs ne disent pas autrement, à l’image de Lou Jominet. Elle a rejoint les Sharks il y a un peu plus d’un an et vient de se qualifier pour les championnats d’Europe en petit bassin en Pologne en décembre prochain et de pulvériser son record national du 1 500 m : «Quand je suis arrivée, je traversais une période un peu compliquée. Et dès que j’ai commencé avec Jabrane, tout a changé. Dès le premier entraînement, j’ai su que c’était lui mon entraîneur. J’aime aller à l’entraînement. Il nous pousse à faire plus de distance et pas uniquement des petits sprints. Je ne sais pas comment il fait, mais il sait exactement ce que je pense et il sait trouver les mots pour me motiver.»
Quel est donc le secret de ce petit génie de l’entraînement? «Je suis quelqu’un d’exigeant sur le nombre de kilomètres à l’entraînement. Je fais nager beaucoup. J’ai une méthode où je suis proche des nageurs, je sais les écouter, les aider. On peut discuter et parler. Mais une fois dans l’eau, ça change. Je suis plus exigeant. Très dur. Je les pousse à bout.»
La méthode a fait ses preuves partout où il est passé. Et elle pourrait bien permettre à des nageurs des Sharks de viser les sommets. En tout cas, l’homme, qui s’est marié au Luxembourg l’an passé et qui avait découvert la Coque lors d’un stage pour préparer les championnats de France en 2019, se sent très bien dans sa nouvelle vie.
Même s’il espère que les conditions vont s’améliorer pour son club, qui peine à trouver de la place pour entraîner ses nageurs, passés d’environ 350 quand il est arrivé à plus de 750 à l’heure actuelle.