Maurice Bauer, le rapporteur du budget de l’État pour 2026, livre une première analyse des chiffres présentés mercredi par le ministre des Finances, Gilles Roth. L’élu du CSV défend les choix posés par le gouvernement. Le déficit de 1,49 milliard d’euros serait nécessaire pour «mieux préparer le pays à l’avenir».
Rappelons les chiffres clés du projet de budget ficelé par le ministre des Finances : 32,6 milliards d’euros de dépenses et 31,1 milliards de recettes. Le rapporteur, Maurice Bauer, croit dur comme fer à l’effet des mesures et investissements visant à doper l’économie et le pouvoir d’achat des ménages, deux principes directeurs du gouvernement CSV-DP, qui entend ainsi assurer la durabilité des finances publiques.
La devise du ministre des Finances, Gilles Roth, pour ce budget 2026 est « croître ensemble ». Est-il possible de trouver le bon équilibre entre le vivre-ensemble et la croissance, sachant que le gouvernement cherche surtout à doper l’économie pour garder les finances publiques à flot ?
Maurice Bauer : Si nous voulons réussir à renforcer le social, il est dans l’intérêt de nous tous de pouvoir nous reposer sur un solide fondement. Et ce fondement est bien entendu une économie forte et diversifiée. Je pense vraiment que les mesures annoncées par le ministre vont dans le bon sens. On voit d’ailleurs qu’une série des mesures prises depuis l’entrée en fonction de ce gouvernement ont déjà contribué à renforcer l’économie, à rendre encore plus attractive la place financière et à attirer davantage de jeunes talents. Cela se traduit par des recettes fiscales en hausse au 30 septembre. Indépendamment d’une croissance du PIB limitée à 1 %, l’évolution est positive.
Le budget 2026 comprend toutefois des dépenses de 900 millions d’euros non budgétisées dans les prévisions pluriannuelles de 2025, dont les 500 millions d’euros supplémentaires pour la défense. On aurait pu s’attendre à des coupes budgétaires pour contrebalancer ces dépenses, mais il n’en est rien. Le léger rebond de la croissance économique est-il vraiment suffisant pour tenir le choc ?
Le ministre nous a présenté un budget ambitieux. En ces temps plus compliqués, il est nécessaire de mener une politique anticyclique. On doit éviter de réduire la voilure. Où pourrait-on d’ailleurs faire des coupes? Tous les éléments compris dans le budget sont justifiés. Avec ce budget, on tente de mieux préparer le pays à l’avenir, de le rendre plus résilient. Le gouvernement a aussi clairement dit ne pas procéder à des coupes au niveau social. Venir en aide aux personnes vulnérables est une priorité. Pour pouvoir financer ces mesures, il nous faut agir de manière proactive pour relancer et diversifier l’économie, afin de générer davantage de recettes fiscales.
Notre marque de fabrique a toujours été de nous retrouver à la pointe de la technologie
Un des chiffres clés du projet de budget est justement le maintien des transferts sociaux à un niveau très élevé. Ils se montent à 46 % des dépenses. Malgré tout, et en dépit des mesures déjà prises par le gouvernement, la pauvreté guette toujours un résident sur cinq. Comment expliquer ce qui ressemble à un paradoxe ?
J’apprécie le travail fourni par la Chambre des salariés. Or ce qui m’a dérangé lors de la présentation du Panorama social est qu’il a été omis de préciser que le taux de risque de pauvreté est en légère baisse, de 18,8 % à 18,1 %. Il est clair que chaque point de pourcentage est de trop. En même temps, il est à constater que ce léger recul est en partie dû aux nombreuses mesures prises. Nous avons beaucoup investi pour, notamment, soulager les monoparentaux (NDLR : revenu annuel imposé à partir de 52 000 euros) et pour exonérer d’impôt le salaire social minimum non qualifié. J’espère vraiment que la tendance est en train de s’inverser. Un élément qui m’importe beaucoup, ce sont les automatismes qui seront introduits pour faire bénéficier les personnes éligibles des différentes aides sociales, comme l’allocation de vie chère ou la prime énergie. Cette mesure peut et doit constituer une pierre angulaire dans la lutte contre la pauvreté.
Les partis de l’opposition n’ont pas manqué de critiquer le manque de mesures concrètes pour contrebalancer l’augmentation des dépenses, avec à la clé un déficit qui se chiffre à 1,49 milliard d’euros. En parallèle, la dette publique se stabilise autour des 27 % du PIB. Ne s’agit-il pas d’un trompe-l’œil, sachant que la dette augmente graduellement en chiffres absolus ?
On sort d’une période marquée par de multiples crises. Il est à constater que, par le passé, les déficits inscrits dans les budgets respectifs étaient toujours assez conséquents. Je trouve très positif que le gouvernement ait misé, ces deux dernières années, sur toute une série d’allègements fiscaux qui bénéficient à la fois aux ménages et aux entreprises. Malgré cela, nos recettes continuent à évoluer positivement. Il faut aussi avoir conscience qu’on se retrouve dans un contexte où la croissance est moins prononcée. Il est d’autant plus important que le Luxembourg renforce sa position. Nos pays voisins seraient contents de connaître une hausse du PIB de 1 % en 2025 et 2 % en 2026, comme le Statec nous le prédit pour le Grand-Duché. Cela démontre une nouvelle fois que les mesures prises par ce gouvernement commencent à porter leurs fruits.
Pour résumer, vous partagez donc le constat du ministre Gilles Roth : les finances publiques sont suffisamment robustes pour supporter cette charge financière supplémentaire ?
Les chiffres au 30 septembre indiquent que l’on se trouve dans la bonne voie. Je répète que la hausse des recettes est due aux mesures prises ces deux dernières années. Et cela doit constituer la base pour assurer le financement du budget 2026. Je suis donc aussi très confiant pour l’évolution future des finances publiques. Un avantage demeure pour le Luxembourg : il dispose d’une économie très flexible et dynamique. La marque de fabrique de notre pays a toujours été de se retrouver à la pointe de la technologie. Au vu de la petite taille de notre économie, nous devons toujours figurer parmi les pionniers.

On pourrait aussi objecter que les déficits projetés sont traditionnellement plus importants que lors du décompte final. Ce fait a d’ailleurs été questionné en 2024 par le Conseil national des finances publiques. Quelle est votre interprétation de ce phénomène ?
Pour 2026 sont prévus des investissements records équivalant à 4,8 % du PIB. Cette enveloppe est débloquée pour préparer l’avenir. Ces investissements créent des emplois, plein de recettes et augmentent l’attractivité du Luxembourg. D’où la nécessité de maintenir les investissements à un niveau élevé. En même temps, il faut être réaliste. Lors de chaque année budgétaire, il faut évaluer ce qui peut être réalisé. Ce qui n’empêche pas de se montrer optimiste et de donner à l’État les moyens nécessaires pour réaliser ses projets.
Et puis, ces importants montants débloqués constituent aussi un signe de confiance. Le gouvernement donne le message qu’il soutient pleinement les mesures et que l’on croit à une économie solide, qui permet de générer les recettes fiscales nécessaires pour pouvoir assumer les différentes politiques prioritaires. On parle beaucoup du social, mais il y a aussi l’environnement et la santé, et bien d’autres domaines. Il faut se doter d’une économie forte afin d’être le moins dépendant possible par rapport à d’autres pays. La concurrence ne diminue pas.
Vous n’avez pas cité le logement, qui reste un chantier majeur, et demeure aussi un facteur pesant lourdement sur les plus vulnérables. L’opposition a déploré le manque d’ambition en la matière. Quel regard jetez-vous sur les investissements annoncés ?
On verra fin 2026 si on continue à avancer sur la bonne trajectoire. L’ambition du gouvernement est clairement d’inverser la vapeur. Le budget prévoit des crédits pour de nouveaux programmes de rachat de logements en cours de construction. Le Fonds du logement et la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM) se voient renforcés. Les subventions de loyer sont revues à la hausse. Toutes ces mesures permettent d’avancer dans le bon sens. Un aspect intéressant est de savoir si l’on dispose des capacités nécessaires pour réaliser le nombre de logements dont on aurait besoin. Ce facteur est souvent sous-estimé.
Que voulez-vous dire par là ?
La coalition ne peut que fournir des incitatifs financiers. La main publique ne peut cependant pas agir seule. Les promoteurs privés doivent contribuer à cet effort. Malgré tout, on reste confronté à une équation impossible. L’attractivité du Luxembourg fait que l’on attire chaque année des milliers de nouveaux habitants et nous ne possédons probablement pas de capacités suffisantes pour remplir le besoin de logements. Néanmoins, nous ne disposons pas du luxe de ne plus attirer les gens. Notre économie ouverte nécessite que l’on continue à importer des compétences, à attirer des talents, qui nous permettent de continuer à renforcer et étendre notre économie.
L’ambition du gouvernement est clairement d’inverser la vapeur
Vous avez choisi le social comme fil rouge pour votre rapport sur le budget 2026. Dans ce contexte, vous avez déjà mené une série d’entretiens avec des acteurs du terrain. Que retirez-vous de ces échanges ?
Je suis très content de pouvoir, grâce à ces entrevues, obtenir une image globale de la situation. Les institutions et associations que j’ai pu rencontrer saluent les nombreuses mesures déjà prises. Les acteurs du terrain ressentent un effet, mais il faut continuer dans cette voie. L’introduction des automatismes précités est un premier pas. Cette initiative, compliquée à réaliser d’un point de vue administratif, est appréciée. Mais, en même temps, les acteurs déplorent que les prix ne cessent d’augmenter. La pression financière reste donc importante.
Vous siégez depuis à peine deux ans à la Chambre et occupez, en parallèle, le poste de premier échevin à la Ville de Luxembourg. Au vu de cette double tâche, est-il possible d’accomplir en plus le travail de rapporteur du budget ?
En premier lieu, je veux souligner que j’ai une épouse très compréhensive. Il est évident que les mois à venir seront très intenses. Être rapporteur du budget est, par contre, aussi une tâche très intéressante. On apprend beaucoup de choses. J’ai la chance de pouvoir compter sur des services qui acceptent que je sois moins présent dans les deux mois à venir. J’aborde ce surplus de travail de manière très positive.
État civil. Maurice Bauer est né le 11 octobre 1971. Il est marié et père de deux enfants.
Formation. Après des études secondaires au lycée de garçons de Luxembourg, Maurice Bauer entame des études supérieures en droit à l’université de Strasbourg. Il décroche sa maîtrise en 1997.
Carrière. Maurice Bauer travaille comme juriste dans le domaine financier, avec des étapes à la Dexia-BIL, la Cetrel et la Bourse de Luxembourg.
Échevin. Il occupe le poste de premier échevin de la Ville de Luxembourg depuis 2023. Devenu membre du CSV en 1990, Maurice Bauer a été élu pour la première fois au conseil communal en octobre 2011.
Député. Maurice Bauer fait son entrée à la Chambre des députés lors des élections législatives d’octobre 2023. Le 1er juillet dernier, il est nommé rapporteur du budget de l’État pour 2026.