Cette semaine, Le Quotidien a écouté le dernier album de Say She She, Cut & Rewind, sorti le 3 octobre sur le label drink sum wtr.
Réunies depuis 2017 sous le nom de Say She She, ces trois New-Yorkaises portent en elles un ADN double : celui du Studio 54, lieu emblématique des années disco où, sur la piste de danse, les gravures de mode côtoyaient les quidams triés sur le volet, et celui des guerrières futuristes qui déclaraient la guerre au patriarcat et au capitalisme dans le film Born in Flames (Lizzie Borden, 1983).
Sabrina Cunningham, Nya Gazelle Brown et Piya Malik n’ont ni radio pirate pour diffuser leurs messages féministes, ni bombes ou fusils pour mener leurs combats sur le terrain. Leur arme à elles, c’est le disco, un genre revenu en force ces dernières années, plutôt dans le souci de lui redonner un lustre pop et à la nostalgie assumée (Dua Lipa, Jessie Ware, Silk Sonic).
Et quand bien même certains cachent derrière les lignes de basse syncopées des observations mordantes sur le climat actuel global (Getdown Services, Wrong Way Up) ou carrément des appels à la révolution (le bien nommé Marxist Love Disco Ensemble), il semble que le mariage d’un langage musical connu et populaire et d’un discours militant fasse bon ménage, oui, mais du moment qu’il reste cantonné à un public de niche.
En ce sens, Say She She a largement de quoi abattre les murs qui séparent les premiers des seconds. Arborant un style vestimentaire que n’auraient pas renié Iman ou Grace Jones, le trio est ainsi capable d’écrire une authentique lettre d’amour au genre, Disco Life, qui pastiche sans les parodier ses harmonies typiques (on pense à Silver Convention ou Diana Ross), tout en faisant référence à la tristement célèbre «Disco Demolition Night» – le 12 juillet 1979, à la mi-temps d’un match de baseball à Chicago, 50 000 personnes ont participé à un autodafé d’albums de disco –, tirant ainsi les conclusions racistes et homophobes d’un tel évènement.
Plus loin, ces «guérillères» du disco (d’après le titre du roman radical de Monique Wittig qui a inspiré le film de Lizzie Borden) enflamment le «dancefloor» avec le refrain entêtant de She Who Dares, qui imagine une dystopie à la Handmaid’s Tale où l’on emprisonne les femmes qui osent parler sans attendre leur tour. On pourrait encore citer l’hymne syndicaliste Under the Sun, presque du Minnie Riperton à l’oreille, ou le très remuant Shop Boy qui, mettant en perspective les applications de rencontre et les rayons de supermarché, fracasse d’une même pierre la masculinité toxique et le capitalisme.
Douze « protest songs » disco partagées entre la douceur des voix et la tension des mots
Oui, il y a une force punk et sans concession derrière les appels à la danse. Tout, ici, fonctionne sur la même dichotomie : entre la légèreté du disco et l’urgence du message, entre la douceur des voix et la tension des mots, entre la splendeur vintage et le propos actuel. Le choix de l’immédiateté, donc, qui se reflète aussi dans le processus d’enregistrement, où chacun des 12 titres a eu droit à trois prises, avec la meilleure ayant fini dans l’album. En outre, Say She She ne s’embarrasse pas de longs «breaks» instrumentaux façon Donna Summer ou Cerrone et s’interdit toute trace du vernis pailleté qu’apportaient, à l’apogée du disco, les sections de cuivres et les violons.
Avec leur «backing band» de prestige, le groupe Orgone (auteurs notamment du superbe album Connection, en 2020), Say She She pratique un disco «à l’os», pour ainsi dire, mais au «groove» multicouches, élevé par une basse serpentine et des riffs de guitare étincelants à la Chic. Nile Rodgers lui-même est resté pantois devant leurs «protest songs» disco, leur assurant – et c’est la plus belle des récompenses – qu’elles n’ont rien à envier aux plus grand(e)s du genre. C’est qui les plus fortes?