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[Exposition] Les petites histoires d’Eleanor Antin au Mudam


"J’ai travaillé cinquante ans en me répétant la même chose : Fais ce que tu as envie de faire." (photo Eleanor Antin)

Le Mudam consacre la première rétrospective en Europe à cette pionnière de l’art conceptuel et féministe. Ses mises en scène burlesques, qui interrogent l’identité, le genre et les structures sociales, sont d’une modernité saisissante.

Elle est née en 1935 mais est toujours vaillante, drôle, directe. Sur une vidéo publiée sur le site du Mudam, elle se marre ainsi de son âge avancé – «Je suis plus vieille que le père Noël!» – et raconte ce qui l’a toujours motivé : «Choquer les gens et provoquer chez eux une réaction», tout en «emmerdant» les esprits étriqués et les conventions. «J’ai travaillé cinquante ans en me répétant la même chose : « Fais ce que tu as envie de faire »», martèle-t-elle.

Un mantra qui va faire d’Eleanor Antin une des pionnières de l’art conceptuel aux États-Unis, animée par un engagement chevillé au corps et à l’esprit. «Je me suis toujours considérée comme politique et féministe», dit-elle, avouant que ces qualificatifs n’ont plus le même «impact» aujourd’hui qu’à la fin des années 1960.

Pourtant, regarder cette première rétrospective européenne (après une dernière organisée à Los Angeles en 1999) rappelle que les propositions de l’artiste restent pertinentes, notamment grâce à ses thèmes de prédilection, intemporels, comme l’identité, le genre et les structures sociales.

Déjà en 1977, dans ses écrits, la critique Kim Levin disait d’elle : «Elle personnalise les problèmes et les dilemmes du présent», dressant avec son œuvre «le portrait» d’une époque». «Elle questionne le monde actuel», prolonge Bettina Steinbrügge, directrice du Mudam. Ne serait-ce en raison de la multiplicité de son travail, qui brouille les frontières entre les disciplines et les sujets qui y figurent. Loin, donc, de la polarisation qui agite les sociétés contemporaines.

Bottes et cartes postales

«Je n’ai jamais respecté les règles», précise-t-elle et ce, très vite, en raison d’un côté touche-à-tout qui la divise entre la peinture, la littérature, la poésie et le cinéma. S’appuyant sur cette expérience, elle va intégrer à sa pratique tout ce qu’elle connaît et tout ce qu’elle aime : le langage, les costumes et la voix, pour un résultat qui, toujours selon Bettina Steinbrügge, prend des airs de «théâtre immersif».

Rajoutons multiformes, à travers une vaste palette qui montre son dédain pour les frontières ou, comme elle l’expliquait au MoMA (Museum of Modern Art), pour les «limitations tyranniques» à sa liberté. Ainsi, avec elle, art visuel et art dramatique avancent sur la même ligne de front et donnent lieu, au Mudam, à une réunion composite faite de photographies, de vidéos, d’installations, de performances, de dessins et d’écrits.

Rétrospective oblige, le musée démarre l’exposition avec une œuvre phare : 100 Boots, la «préférée» d’Eleanor Antin, mettant en scène 100 bottes noires provenant d’un surplus de la marine américaine. Alignées militairement, elles convient le visiteur à les suivre dans les escaliers jusqu’aux cartes postales sur lesquelles elles «posent» dans divers lieux aux États-Unis, dans une sorte de procession drôle et absurde.

Celles-ci furent ensuite envoyées aux acteurs de la scène artistique (amis, critiques, institutions…) entre 1971 et 1973, dans un pied de nez au marché de l’art, peu habitué à une diffusion aussi bon marché et accessible. Plus loin, c’est la  «sculpture traditionnelle» qu’elle va faire trembler sur son socle en devenant elle-même l’objet, photographiant son corps nu en 148 étapes successives pendant un mois de régime draconien. Elle reprendra le procédé 45 ans plus tard, en 2017.

Le roi, l’infirmère et les ballerines

Après avoir fréquenté l’avant-garde new-yorkaise, Eleanor Antin file à San Diego où elle s’implique dans le mouvement féministe local et participe aux activités du Woman’s Building, un centre artistique et éducatif de Los Angeles. Elle qui, depuis sa tendre enfance, a toujours eu le sentiment de vivre à la «marge» (notamment en tant que fille d’exilés juifs), s’insurge face à toute catégorisation.

Au début des années 1970, elle va même les remettre en cause en incarnant de multiples alter ego, ses «moi» comme elle les appelle, qui brouillent les repères identitaires. Tour à tour, elle devient ainsi un roi (à barbe) sans royaume, une infirmière et deux ballerines frustrées, dont une au nom d’Eleanora Antinova, première et seule danseuse afro-américaine des ballets russes – stigmatisée pour sa couleur de peau et cantonnée à des rôles «ethniquement» viables.

Ces trois personnages amusants et tragiques, abordés à travers différents médiums, occupent une bonne partie de l’espace du musée. À juste titre, car ils représentent l’essence du message véhiculé par Eleanor Antin : si le genre, la classe sociale, la race et l’identité sont des concepts fluides, instables, les hiérarchies qui en découlent le sont aussi.

Si elle n’oublie pas de rendre hommage aux femmes (dont sa mère) qu’elle «admire», dans d’intimistes et de sobres installations, l’artiste conclut en démontrant qu’elle n’a rien perdu de sa justesse avec des tableaux photographiques créés depuis le début des années 2000 et qui, une fois encore, mixent l’Histoire et la fiction pour parler de sujets sérieux (l’environnement, la guerre). «Si seulement on m’écoutait, je pourrais tout arranger», soutenait-elle dans un rire. Il n’est jamais trop tard.

Jusqu’au 8 février 2026. Mudam – Luxembourg.

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