Sur le coup de 10 h, ce matin, le Grand-Duc Henri va abdiquer, 25 ans après être monté sur le trône. Son parcours comme chef de l’État n’a pas été un long fleuve tranquille, ce qui n’a jamais empêché le souverain de maintenir son rôle de garant de la cohésion sociale. Son fils aîné Guillaume fera face à de nouveaux défis.
Le Grand-Duché va connaître une journée historique. En ce vendredi 3 octobre 2025, le pays et sa monarchie font face à un nouveau tournant. Le Prince Guillaume va devenir en fin de matinée le dixième Grand-Duc de Luxembourg, succédant à ses prédécesseurs Guillaume Ier (1815-1840), Guillaume II (1840-1849), Guillaume III (1849-1890), Adolphe (1890-1905), Guillaume IV (1905-1912), Marie-Adélaïde (1912-1919), Charlotte (1919-1964), Jean (1964-2000) et, donc, Henri (2000-2025).
Très fortement marqué par l’œuvre de son grand-père et de son père, Guillaume devrait continuer à marcher dans les pas de Jean et de Henri. «Toutefois, les monarques sont aussi des êtres humains. Chacun a d’autres sensibilités, peut-être aussi d’autres priorités. Cela va se refléter dans l’action du nouveau souverain», estimait lundi dans nos colonnes Alex Bodry, spécialiste en questions constitutionnelles. Pour Philippe Poirier, professeur de science politique à l’université du Luxembourg, le futur Grand-Duc aura intérêt à «dépoussiérer» la monarchie. «Qu’il s’adapte, s’il veut que la monarchie perdure au Luxembourg. Il faut absolument que ce soit une monarchie du XXIe siècle», explique le politologue.
Un souverain plus moderne
Au moment de monter sur le trône, le 7 octobre 2000, le Grand-Duc Henri, alors âgé de 45 ans, annonçait vouloir imposer un nouveau style : celui d’un souverain plus accessible, moderne, les deux pieds dans la société. Il se démarque rapidement en s’exprimant plus librement – il participera au référendum de 2005 sur la Constitution européenne –, mais aussi en conférant un rôle plus important à son épouse, la Grande-Duchesse Maria Teresa, et en venant secouer le cadre constitutionnel, lui réservant des pouvoirs limités dans la démocratie parlementaire qu’est le Luxembourg.
«Je m’engage (…) auprès de tous les citoyens, avec l’aide et le soutien de la Grande-Duchesse, de Guillaume et de nos autres enfants, à agir au mieux les intérêts de notre patrie et de tous ceux qui y vivent. Tout comme notre famille l’a fait par le passé, nous voulons être aux côtés de tous les Luxembourgeois et partager leurs joies et leurs peines», promettait le Grand-Duc Henri lors de son discours du trône.
Les «joies et les peines» auront été nombreuses au cours de son règne de 25 ans, sur le plan national et international, mais aussi à l’échelle personnelle. La première décennie du nouveau millénaire fut marquée non seulement par les attentats du 11-Septembre aux États-Unis, mais aussi la crise financière et économique des années 2008 et 2009. En 2002 est introduit l’euro comme monnaie unique européenne, avec des pièces à l’effigie du nouveau souverain.
La deuxième décennie du règne de Henri restera agitée : la crise migratoire en 2015, le Brexit en 2016, la pandémie de covid en 2020 et début de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, le 24 février 2022.
Le Luxembourg sera frappé par des catastrophes naturelles majeures : les inondations au Mullerthal en 2018, la tornade dans le sud du pays en 2019 et les inondations sans précédent en 2021.
À chaque fois, le Grand-Duc s’est tenu au plus proche des victimes et de la population. «La solidarité entre tous les Luxembourgeois et tous ceux qui travaillent ici est notre meilleur atout dans cette crise», soulignait le souverain lors de la fête nationale 2020, en pleine crise sanitaire. Il avait également pris la parole, le 27 octobre de la même année, au moment où le Luxembourg a été frappé par la deuxième vague d’infections : «Il importe (…) que tout un chacun (…) apporte son aide pour endiguer à nouveau la propagation du virus. Nous avons tous une responsabilité vis-à-vis de nos proches, et en particulier vis-à-vis des personnes vulnérables et âgées.»
Une série de coups d’éclat
Lors de ses discours pour la fête nationale, Henri a toujours mis l’accent sur la cohésion sociale, la solidarité et le vivre-ensemble. Toujours en sortant un peu de sa réserve. La vie au sein de la Cour grand-ducale n’aura cependant pas toujours été accompagnée de la même cohésion.
Trop souvent, la Grande-Duchesse Maria Teresa s’est retrouvée à l’origine d’importantes distorsions. À la veille de la fête nationale en 2002, l’épouse du souverain s’était plainte devant la presse des relations exécrables qu’elle entretenait avec sa belle-mère, la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte.
Début 2020 est publié un rapport spécial sur le fonctionnement intérieur de la Cour. Une trop importante valse du personnel, provoquée par la Grande-Duchesse, se trouve à la base d’une modernisation forcée. En février, le Grand-Duc est venu au secours de son épouse dans une lettre personnelle publiée sur les réseaux sociaux : «Pourquoi attaquer une femme? Une femme qui défend les autres femmes? Une femme à qui on ne donne même pas le droit de se défendre?».
Ces épisodes malheureux ne doivent pas trop faire d’ombre à l’engagement sans faille de Maria Teresa pour des causes sociales, comme en témoigne son rôle d’ambassadrice de l’Unesco qui lui a été attribué en 1997 pour son action en faveur de l’éducation des jeunes filles et l’égalité des genres, le droit des femmes et la microfinance.
Henri va aussi créer des rebondissements. Courant 2006, l’émoi est grand quand le souverain annonce vouloir vendre des bijoux de sa mère mais aussi une partie des forêts du Grünewald, qui appartient à la famille grand-ducale. Il fera son mea-culpa. En 2014, le Grand-Duc voit ses frères Jean et Guillaume être obligés de comparaître comme témoins dans le procès Bommeleeër.
Le 2 décembre 2008, le Grand-Duc Henri marquera l’histoire avec son refus de signer la loi sur l’euthanasie pour des raisons de conscience. La Constitution est changée d’urgence pour éviter une crise profonde. Il s’agit de la première pierre menant à un travail de révision plus approfondi qui aboutira le 1er juillet 2023, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi suprême. Les attributions du Grand-Duc sont revues et adaptées aux pratiques du XXIe siècle.
Le règne du chef de l’État sortant aura aussi connu des moments plus douloureux et plus heureux. Sa mère, la Grande-Duchesse Joséphine Charlotte, décède en 2005 à l’âge de 77 ans. Son père, le Grand-Duc Jean s’éteint en 2019, à l’âge de 98 ans. Le mariage du Grand-Duc héritier Guillaume avec la Princesse Stéphanie, en octobre 2012, sera suivi de la naissance des Princes Charles, en 2020, et du Prince François, en 2023.
«De tout mon cœur, merci pour votre confiance»
En dépit de ces rebondissements, le Grand-Duc Henri part avec le devoir du sentiment accompli, en gardant une importante popularité auprès des citoyens. Il a ouvert de nombreuses portes au Grand-Duché au fil de ses visites d’État aux quatre coins du monde. Sa proximité avec les citoyens est restée intacte. «Mon cœur est rempli d’émotion et de profonde gratitude. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que j’ai prêté serment devant vous, porté par la volonté sincère de servir notre pays, avec loyauté, respect et dévouement», soulignait le souverain lors de la fête nationale du 23 juin dernier, avant de remercier la population : «Aujourd’hui, je souhaite, avec la Grande-Duchesse, vous exprimer de tout mon cœur ma gratitude. Merci pour votre confiance. Merci pour ces innombrables rencontres, les échanges sincères, les instants partagés. Tout cela a nourri ma mission et enrichi ma vie».
Lieutentant-représentant depuis le 8 octobre 2024, le Grand-Duc héritier Guillaume va reprendre, près d’un an plus tard, la succession du Grand-Duc Henri. Le nouveau souverain aborde son règne dans un cadre institutionnel et constitutionnel modernisé. Son père lui fait pleinement confiance pour relever le défi à la tête du pays : «Guillaume a, au fil des années, démontré son engagement, sa sagesse, et son profond attachement à notre pays. À ses côtés, la Princesse Stéphanie s’investit avec conviction et générosité dans les causes qui lui ont été confiées. Leur complémentarité, leur bienveillance et leur sens du devoir seront les piliers d’une nouvelle génération au service du Grand-Duché. Je sais qu’ils seront dignes de votre confiance et de vos espérances».
Merci Monseigneur. Vive Guillaume.