L’euthanasie peut-elle être abordée de manière drôle et légère ? Zidrou et Lucy Mazel y parviennent dans une œuvre feel-good qui, loin du pathos et des leçons de morale, dépeint la fin de vie de façon lumineuse.
Faut-il faire vivre ou laisser mourir ? Malgré l’évolution sensible autour de la question ces vingt dernières années, notamment en Europe, le débat reste tendu, sujet à de profonds dilemmes moraux, religieux et médicaux. Oui, l’euthanasie (la «bonne mort» en grec) polarise. Doit-on alors reconnaître aux hommes un droit d’en finir définitivement avec la vie, dans un ultime sursaut de liberté, ou doit-on, au contraire, se borner (les progrès de la médecine aidant) à soigner, aider, accompagner les personnes les plus vulnérables, celles qui bientôt ne seront plus ?
Comme il le confie auprès des éditions Le Lombard, Zidrou, auteur ultraprolifique depuis le début des années 1990, autant à l’aise avec les one-shot intimistes qu’avec les grosses productions en série (L’Élève Ducobu, Tamara, Clifton, Leonard…), a eu affaire à l’épineuse problématique quand son père souffrait «d’une saloperie de cancer». Pourtant, alors qu’en Belgique «il y a toujours eu moins de crispations» autour de l’accompagnement médical, ce dernier n’a pas eu recours à l’euthanasie, ce qu’a regretté après coup son fils, partisan «d’une mort digne».
«On ne peut pas laisser les gens seuls face à une situation abominable, obligeant les familles et les soignants à commettre ce qui est actuellement considéré comme un crime», s’insurge-t-il. Habitué à évoquer dans ses nombreuses histoires la vie comme la mort, «élément dramatique le plus fort», il se devait de l’aborder un jour frontalement. Le déclic est arrivé par une jeune dessinatrice, Lucy Mazel qui, après la lecture de Lydie (2010, Dargaud), s’était fait une promesse : travailler un jour avec Zidrou. Plus tard, sans calcul, elle va lui envoyer «le portrait d’un homme noir au regard mélancolique». La première pierre de Virgile est posée.
Tenir pour tenir, vivre pour ne pas mourir, je n’en ai plus le courage
Virgile n’est autre qu’un ancien joueur de basketball professionnel qui a imposé ses quasi deux mètres dans un modeste club de Bruxelles. À 60 ans, âge où l’on est censé profiter de l’existence, celle-ci ne va pas être tendre. Deux événements occupent ses souvenirs et ses rêves : la séparation avec sa femme en 2015 et sa chute, deux ans plus tard, d’un arbre, alors qu’il venait en aide à un chat. Quelques mètres plus bas, le constat est sans appel : le grand gaillard est tétraplégique, «treize lettres de malheur» qui vont le maintenir immobilisé dans son lit de (trop) longues années. «Quand on passe sa vie à regarder le plafond, c’est que l’on a touché le fond», souffle-t-il.
Quatre ans plus tard, malgré la bienveillance et les conseils des docteurs, des infirmières ou du kinésithérapeute, pour qui la «patience» reste le meilleur des remèdes et le «temps» un allié, Virgile choisit de rallier une clinique en Belgique afin, comme il dit, «de perdre avec les honneurs». Car «tenir pour tenir, vivre pour ne pas mourir, je n’en ai plus le courage», assène-t-il, définitif. Pour ce saut dans le vide, le dernier, il pourra compter sur la présence de sa famille (ses deux filles et ses trois petites-filles), de ses vieux potes du basket et de tout le personnel médical.
À l’image du faire-part que Virgile envoie à son entourage, le conviant avec «soulagement» à son «enterrement de vie de garçon», l’ouvrage évite les grands discours et le pathos, leur préférant l’humour et la simplicité. «Avec cet album, j’ai voulu délivrer un message d’optimisme», explique Zidrou, soulageant au passage la crainte originelle de Lucy Mazel qui était celle de tomber dans «le piège du récit larmoyant». Certes, leur personnage sombre parfois dans la déprime, mais la plupart du temps, il préfère s’amuser de sa situation que d’en pleurer. Même son avatar, jeune et remuant, venu le tourmenter, ne l’épargne pas : «Je te confie mon corps et voilà ce que tu en fais !»
Sans rien dissimuler des difficultés et des interrogations que suscite la mort choisie, Virgile s’impose comme un livre feel-good qui évite le «misérabilisme» et le militantisme au profit de la pudeur et de la légèreté. Dialogues mordants, blagues à tout-va, bonnes idées (notamment ces fiches d’identité de personnages secondaires) et flashbacks complètent cette ode à la vie, sans oublier le trait et la palette de couleurs de Lucy Mazel, aux charmes certains. Lors de leurs toutes premières discussions autour de la BD, Zidrou lui avait affirmé qu’il était possible de parler d’euthanasie de façon «belle et joyeuse». Une promesse largement tenue.
Virgile, de Zidrou & Lucy Mazel.
Le Lombard.
L’histoire
Virgile mène une vie compliquée depuis un accident qui l’a rendu tétraplégique. Fatigué d’être dépendant des autres, il a pris une décision radicale : il veut en finir avec la vie, à travers ce que l’on nomme une «aide active à mourir». Mais pas question de partir sans panache ! Il décide d’organiser une dernière fête grandiose avec tous ceux qu’il aime, afin de transformer cet au revoir en un moment de partage et de joie.