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Traite humaine à Rodange : le personnel trimait en cuisine pour une bouchée de pain


«Il a ensuite demandé aux autres de me battre. Une fois, je m’étais évanoui sous les coups», raconte une victime présumée. (Photo : archives lq)

Ils pensaient améliorer leur condition humaine en venant travailler au Luxembourg. Six Népalais racontent avoir été exploités et traités comme des sous-hommes par un restaurateur.

«Nous étions battus et on nous criait dessus quand quelque chose était mal fait. J’ai été blessé au nez.» Une des six victimes présumées, un plongeur, parle d’une voix peu assurée. Il n’ose pas répondre aux questions du président de la 12e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. «Je ne souhaite pas repenser à tout cela.» Le jeune homme a eu le nez cassé, a été brûlé à l’épaule avec de la sauce bouillante et blessé à l’oreille avec une broche à tandoori par Raju, son ancien patron. «Ce n’étaient pas des accidents.»

«Raju nous interdisait de contacter le monde extérieur.» Le témoin ne parvient pas à expliquer pourquoi. Il paraît encore traumatisé par ce qu’il a vécu au restaurant pendant six ans et a du mal à s’expliquer. «Je ne voulais pas venir ici. Je voulais oublier. Je ne veux pas devoir revenir. Je veux enfin pouvoir vivre ma vie.»

Deux anciens gérants d’un restaurant indien de Rodange sont accusés de traite des êtres humains ainsi que de coups et blessures par six de leurs anciens employés. Isolés, sans connaissance des langues ou des lois du Grand-Duché, ils n’ont jamais osé se rebeller.

«Je ne gagnais pas beaucoup.» Pas assez pour envoyer de l’argent à sa famille restée au Népal. En cinq ans, Raju lui a versé 111 000 euros de salaire et il a dû lui rendre 85 000 euros en liquide. L’ancien patron avait mis en place ce système pour passer sous les radars de l’Inspection du travail et des mines.

«Comment avez-vous pu tenir aussi longtemps ?», demande le juge. Le témoin ne sait quoi répondre. Deux de ses collègues, ne supportant plus les mauvais traitements et les conditions de vie indignes, avaient fini par dénoncer les agissements de Raju et de son épouse à la police. Au grand dam de la communauté népalaise du Luxembourg, qui aurait essayé d’étouffer l’affaire.

Cent euros par mois

Les six victimes présumées étaient, semble-t-il, de la main-d’œuvre bon marché, travaillant presque 24 heures sur 24 et sept jour sur sept, payées au lance-pierre et humiliées en permanence par un patron qui ne tolérait pas la moindre pause ou la moindre erreur.

Presque toutes avaient été recrutées par le père du patron dans son entourage au Népal et lui faisaient confiance. «Il m’a dit que me faire venir au Luxembourg coûtait beaucoup d’argent. Je devais payer moi-même mon billet d’avion et travailler pendant un an sans salaire», explique un cuisinier qui, comme les autres, a accepté ces conditions sans se poser de questions.

Une cinquième victime présumée explique avoir été payée 100 euros par mois pour 12 à 14 heures de travail par jour. «J’étais obligé de l’accepter. Je ne savais pas que c’était trop peu. Je ne l’ai appris que plus tard. Raju me versait 1 800 euros. Je devais lui rendre 1 700 euros», détaille l’homme à tout faire. «J’étais soumis dès le début.» Il suivait les règles imposées par son patron sans les remettre en question par peur de représailles.

«Il y avait toujours quelque chose à faire. J’avais rarement du temps pour moi», rapporte la quatrième victime présumée, qui a travaillé au restaurant de 2013 à 2016. «Au début, tout se passait bien. Jusqu’à ce qu’au bout d’un an, je le questionne sur mon salaire. Il a commencé à me torturer. Tous les prétextes étaient bons. J’ai des blessures partout.» L’homme d’une quarantaine d’années explique que Raju lui aurait donné 50 gifles parce qu’il avait bu un peu d’eau du robinet pendant le travail. «Il a ensuite demandé aux autres de me battre. Une fois, je m’étais évanoui sous les coups. Il a battu les collègues qui avaient voulu prendre soin de moi. Quand j’ai demandé à aller à l’hôpital, Raju m’a dit que je faisais semblant.»

Comme les autres avant elle, la cinquième victime présumée rapporte avoir été battue avec un manche à balai, brûlée dans la nuque et le dos avec de la sauce curry bouillante, privée de soins et d’hygiène, isolée du reste du monde et de ses proches.

Raju est décrit comme un tyran cruel et insensible. Seule son épouse, sa coprévenue, est épargnée par les témoins. «Elle faisait ce que Raju lui demandait de faire par peur des coups. Il lui disait de cracher au sol et nous devions lécher son crachat», indique un cuisinier. «On la respectait. Elle avait peur aussi», confirme l’homme à tout faire. Le prévenu aurait reconnu ses torts lors d’un conseil de sa communauté, mais face aux juges, il nie l’ensemble des accusations retenues contre lui.

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