Nicool laisse de côté le hip-hop le temps d’un propos dont elle rêvait depuis longtemps : dans Liewen, nouveau projet qui se dévoile sur scène ce soir à Neimënster, sa poésie saisissante partage la vedette avec le jeu délicat du pianiste Luca Sales.
En dépit de l’attitude relax que trahit son nom de scène, Nicool se sent «un petit peu stressée» à l’approche de la release party de Liewen, ce soir à Neimënster. Un sentiment qu’elle a pu éprouver ponctuellement, ces derniers mois, en travaillant sur ce nouvel album. «C’est la première fois que je porte un projet toute seule. Habituellement, je suis toujours entourée», à commencer par le crew de De Läbbel, dont elle est l’un des piliers du roster. «Là, j’imaginais tel problème arriver et je flippais à l’idée de ne pas savoir comment gérer ça», raconte la musicienne.
En réalité, si Nicole Bausch est la conceptrice du projet et qu’elle assume effectivement pour la première fois – et seule – les fonctions de «productrice exécutive», Liewen est tout sauf un projet solo. C’est la rencontre de deux âmes musicales : d’un côté, les textes poétiques et le flow déterminé de Nicole Bausch, de l’autre, les mouvements délicats du piano de Luca Sales, pour un résultat qui transgresse les étiquettes et les genres.
«Le piano, c’est un instrument dont je me suis toujours sentie proche», explique celle que l’on connaît d’abord pour être la principale représentante féminine de la scène rap au Luxembourg. Elle en joue elle-même, mais «surtout pour trouver l’inspiration», précise-t-elle. La création d’un projet qui place l’instrument à la première place était, en tout cas, une envie de longue date et qui a commencé à se matérialiser il y a environ deux ans, quand Nicole Bausch était certaine de savoir à qui demander.
«J’ai tout de suite pensé à Luca Sales, avec qui j’ai fréquenté le lycée et qui, depuis, est allé à Bruxelles pour étudier le piano jazz» au prestigieux Conservatoire royal de Belgique. «Il a été tout de suite emballé par ma proposition.» À savoir, la volonté de s’éloigner du hip-hop, qu’elle porte depuis 2016 à bout de textes revendicatifs à l’humour grinçant et jubilatoire, pour former une bulle musicale introspective formée par les motifs de piano, et qui gagne en profondeur avec la mélancolie d’un violoncelle. Un signe ne trompe pas : Liewen, elle le signe Nicool, mais les paroles sont bien créditées Nicole Bausch.
Contrôle des émotions
La nouvelle facette que la musicienne donne à voir d’elle-même, après ses alias (il y a aussi Nikki Ninja, son projet hip-hop à destination des jeunes publics), n’est donc pas celle «qui fait des blagues dans ses chansons», celle qui chauffe son public à blanc avec son rap engagé et farceur. Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont rien en commun – après tout, c’est la même personne qui écrit les textes, le soir, une fois sa journée de travail finie. Le jour, Nicole Bausch exerce comme psychothérapeute spécialisée dans les addictions : une profession qui lui fait «rencontrer toutes sortes de gens» et noter qu’«il existe mille façons de contrôler ses émotions : pour certains, c’est le sport, pour d’autres, ce sont les puzzles…» Pour elle, c’est la musique.
J’ai longtemps dit que je ne me sentais pas musicienne. Avec ce projet, je le suis devenue
On a souvent lu et entendu que les textes de Nicool étaient pour elle une forme de thérapie – un raccourci qu’elle-même juge «un peu facile», en passant, mais qui n’a peut-être jamais été aussi vrai qu’avec la qualité littéraire qu’elle expose sur Liewen. «Chaque morceau est né de mon texte», explique la musicienne. Un départ, déjà, né de ses habitudes dans le milieu du rap, avec un fonctionnement plus collaboratif, dès les premières étapes, entre la MC et ses beatmakers. «Sauf pour un morceau, Du, pour lequel Luca a composé quelque chose de très beau, puis me l’a proposé», précise-t-elle. Le texte, qui est venu «se greffer dessus», évoque une relation toxique, l’étouffement, la souffrance, la possession du corps et de l’esprit. C’est l’une des chansons les plus saisissantes du projet et «l’une des meilleures» selon l’intéressée, qui nous fait penser sans rougir à une Sierra DeMulder ou une Kae Tempest, en luxembourgeois dans le texte.
Comme on n’arrivait pas à se mettre d’accord sur la différence entre spoken word, rap et slam, on a demandé à ChatGPT
À ce propos, quand on lui demande la différence, selon elle, entre rap, spoken word et poetry slam, Nicole Bausch rigole : «C’est une question que Luca et moi nous sommes longtemps posée… Comme on n’arrivait pas à se mettre d’accord, on a demandé à ChatGPT!» Selon l’autorité artificielle, donc, «le slam est un poème déclamé sans musique, le spoken word avec musique», rapporte la musicienne. «Et puisque l’absence de batterie était une composante essentielle pour différencier ce projet de mon projet rap, Liewen serait donc du spoken word.»
Ainsi, cet album de neuf titres part du très politique Ech wëll – une ode à la paix et à l’autodétermination des individus, qui aborde des questionnements féministes et qui tacle au passage un pays trop distancié des problématiques mondiales et du contexte anxiogène ambiant – pour «laisser s’installer les émotions progressivement», devenir plus lyrique, plus abstrait, plus lumineux et, paradoxalement, plus confidentiel. Les paysages musicaux, qui évoquent tour à tour «le jazz, la musique de chambre ou la pop», sont à mettre avant tout au crédit du piano. «C’est un instrument qui peut être tellement de choses, note Nicole Bausch : tantôt délicat, tantôt entraînant, tantôt dramatique…» Son côté «théâtral» culmine d’ailleurs dans l’avant-dernier titre, O Musek – un hymne à la musique, on y revient.
À deux ou à quatre
Développé au cours d’une résidence à Neimënster en 2024 – c’est notamment là, dit Nicole Bausch, qu’il s’est étoffé avec l’arrivée de la violoncelliste Beatriz Jiménez et de la soprano Stephany Ortega –, le projet se dévoilera ce soir dans l’enceinte de l’ancienne abbaye. Un lieu propice à la «dimension dramatique» de l’album et, de fait, leur prestation scénique a bénéficié notamment de l’aide du dramaturge et metteur en scène Jemp Schuster, entre autres collaborateurs théâtreux. Liewen poursuivra son chemin sur les routes du pays (à Grevenmacher ou Wiltz), et parfois seulement à deux. «La formation en duo, ce sera pour des salles beaucoup plus petites, plus proches d’une forme d’intimité. Avec juste un piano, la musique résonne autrement», dit Nicole Bausch.
Le projet, s’il n’existera pas sous la forme d’un disque physique, se décline en revanche en livre, avec les paroles accompagnées d’illustrations signées Henri Schoetter et «un système de « tap-tape » qui renvoie vers la version numérique des chansons». «Quand je demande autour de moi, il y a de moins en moins de gens qui ont un lecteur CD – ce qui explique peut-être pourquoi j’ai encore pas mal d’exemplaires de mes albums qui traînent chez moi», sourit l’artiste. «Et puis je n’avais encore jamais fait de livre!» Une case de plus à cocher à ses réussites… ou peut-être deux, si l’on croit à quel point Liewen a fait grandir Nicole Bausch : «J’ai longtemps dit que je ne me sentais pas musicienne. Avec ce projet, et surtout après la résidence à Neimënster, je le suis devenue.»
Liewen,
de Nicool et Luca Sales.
«Release party» ce soir, à 20 h.
Neimënster – Luxembourg.