Le gérant d’un restaurant aurait essayé d’acheter le silence de ses victimes présumées. Les récits du temps passé à Rodange sont à peine croyables tant Raju y apparaît comme un tyran.
La concurrence voulait faire capoter son affaire. Voilà la réponse apportée par Raju aux enquêteurs de la police judiciaire qui l’ont interrogé concernant des soupçons de traite des êtres humains ainsi que de mauvais traitements et de menaces de sa part envers six employés de son restaurant. Un restaurant indien en particulier aurait essayé de débaucher ses cuisiniers. Selon l’enquêteur à la barre de la 12e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg hier, l’ancien restaurateur népalais avait réponse à tout. Son épouse également. Souvent les mêmes que Raju.
Un enregistrement audio met à mal les explications des époux, déjà contredites par les témoignages unanimes des victimes présumées à la police. Lors d’une séance d’un conseil de la communauté népalaise au Luxembourg, Raju aurait reconnu la véracité des reproches et aurait présenté ses excuses à ses anciens collaborateurs. Il aurait même essayé de les soudoyer, avec un dédommagement financier à ceux qu’il a blessés physiquement – deux d’entre eux auraient eu le nez cassé – pour qu’ils ne dénoncent pas les faits et qu’ils ne jettent pas l’opprobre sur leur communauté.
«Le père de Raju, qui vivait au Népal, m’a proposé un poste de cuisinier. On entendait que l’Europe était un bon endroit pour travailler. J’avais travaillé en Malaisie, à Dubai et au Népal. On m’a dit que cela coûterait environ 15 000 euros pour arriver au Luxembourg et que je devrais travailler quinze mois sans salaire», raconte une victime restée six ans au service du prévenu. Il signe un contrat rédigé en français qu’il ne comprend pas. «J’étais payé 2 000 euros et je ne pouvais en garder que 700. Le reste, je devais le lui remettre en liquide.»
Le personnel logeait dans des conditions déplorables, selon le témoin. «Je l’ai fait remarquer à Raju, qui m’a battu. J’ai encore des cicatrices sur la tête.» Son épouse le rejoint trois ans plus tard. «Raju me mettait la pression pour la faire venir. Pendant quinze mois, elle vivait avec les enfants à un autre endroit», raconte le témoin. «Elle gagnait 400 euros par mois» pour de nombreuses heures de travail. «Nous n’avions aucun temps libre. Nous travaillions de 7 h du matin jusqu’à 2 h.»
L’épouse du témoin a vendu un terrain au Népal pour payer son voyage au Luxembourg. Les «400 à 500 euros» qu’il lui faisait parvenir «tous les six mois» étaient «insuffisants pour vivre». Elle commence à travailler en salle et au domicile de ses patrons dès le lendemain de son arrivée au Luxembourg et est logée dans un appartement avec ses deux enfants.
Des brimades «quotidiennes»
Nettoyer le restaurant, cuisiner, distribuer des publicités, faire les courses, s’occuper des déchets, masser les pieds du patron, s’occuper de ses enfants, de ses voitures… les journées des employés auraient été exagérément longues. Pas le temps de manger ou de boire. «Nous n’avions pas assez. Il m’arrivait de lécher la condensation du frigo. Nous n’avions pas le droit de boire, car nous n’avions pas le droit d’aller aux toilettes au prétexte que nous ne travaillions pas pendant ce temps-là.»
Et puis, il y avait les coups et les brimades au quotidien, parfois proches de la torture, selon les différents témoins, qui n’étaient autorisés à parler à personne. «Si nous nous plaignions, la situation devenait pire. Il nous menaçait de faire de fausses déclarations à la police.» Finalement, le témoin décide d’aller porter plainte à la police. «Je ne supportais plus de voir souffrir ma femme et mes enfants.»
«Raju ne m’a jamais appelé par mon prénom. Il m’appelait « femme »», raconte l’épouse du témoin, la voix chevrotante. «Il demandait à mon mari de me battre, sans quoi Raju menaçait de nous mettre à la porte.» Leurs enfants auraient été livrés à eux-mêmes pendant que le couple trimait au restaurant ou s’occupait des enfants des patrons.
L’épouse d’un ancien employé promet alors d’évoquer le sujet lors d’un conseil de la communauté. «Cela m’a donné le courage de parler. (…) C’est lors de cette rencontre que Raju a reconnu ses torts.» Le père de son ancien employeur aurait tenté de les soudoyer pour les empêcher de dénoncer son fils.
Raju n’était tendre avec personne, selon ses anciens employés. Sa propre épouse aurait été sous sa coupe et victime de ses accès de rage. «J’ai souvent vu Raju la battre», confirme le couple de témoins complètement assujettis à leur employeur au point que leurs témoignages sont à peine croyables. Ce qu’ils racontent est tellement énorme que cela paraît totalement exagéré, voire tout bonnement impossible.