Une vingtaine de pays ont été réunis en Russie samedi soir pour le concours musical Intervision, vestige de l’époque soviétique, avec la promotion des «valeurs traditionnelles».
Né à l’époque soviétique et réinstauré cette année sur ordre de Vladimir Poutine, le concours Intervision de la chanson a été remporté samedi soir par le Vietnam, dont le représentant, Duc Phuc, s’est produit sur la scène de la Live Arena, près de Moscou, avec une chanson inspirée par un poème sur le bambou vietnamien. Le chanteur, gagnant il y a dix ans du télécrochet The Voice au Vietnam, n’a pas caché son émotion en remerciant tous les spectateurs «pour chaque seconde consacrée» à l’Intervision, qui a duré environ quatre heures.
Le Russe Shaman, figure emblématique des concerts patriotiques, a présenté, lui, une chanson lyrique, avant d’annoncer qu’il demandait au jury de ne pas prendre en compte sa participation. «L’hospitalité est une partie inaliénable de l’âme russe et (…) je n’ai pas le droit d’être parmi les prétendants à la victoire», a-t-il lancé devant les spectateurs.
Vladimir Poutine, présent à l’évènement à travers une vidéo, a salué l’«idée principale» de l’Intervision, qui consiste selon lui «à respecter les valeurs traditionnelles et les cultures multiples». La plupart des participants sont ainsi montés sur scène en costume national ou tenues sobres, en chantant dans leur langue maternelle. Au début du show, chaque pays a également été présenté par une silhouette géante dansante en costume traditionnel, créée avec des technologies de réalité augmentée.
«Pressions politiques»
Au total, 23 pays étaient censés participer, mais Vassy (Vasiliki Karagiorgos), chanteuse australienne de musique électronique et pop qui devait représenter les États-Unis, a dû se retirer au dernier moment, selon les organisateurs. Dans un communiqué, ils ont évoqué «des pressions politiques sans précédent du gouvernement australien» exercées sur la chanteuse. Le chanteur de rock américain Joe Lynn Turner, ancien membre du groupe Deep Purple, a toutefois fait partie du jury international, qui a désigné le gagnant.
Mais pour assurer la promotion de cette soirée, la télévision publique russe, Pervy Kanal, s’est offert la diffusion d’une vidéo sur écran géant… à Times Square, au cœur de New York. «Relancer l’Intervision, c’est contrer l’ »entertainment » de l’Occident et reprendre le fil d’un concours typique de la Guerre froide», juge le géopolitiste Cyrille Bret. Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov ne disait pas autre chose.
Un milliard de spectateurs
La prochaine édition de l’Intervision sera accueillie en 2026 par l’Arabie saoudite, ont affirmé les organisateurs. Aucun pays de l’UE n’a envoyé de participant au concours, présenté par les autorités russes comme une alternative à l’Eurovision promouvant des valeurs occidentales «décadentes», au moment où la Russie est visée par de lourdes sanctions occidentales en raison de son offensive en Ukraine lancée en 2022.
Le nombre de vues du show, retransmis en direct ou en différé dans chaque pays participant, pourrait atteindre un milliard, selon les organisateurs. Les pays participants, parmi lesquels notamment des partenaires des BRICS (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Émirats arabes unis…), représentent au total plus de 4 milliards d’habitants, selon les chiffres officiels. «Si au moins un sur trois ou un sur quatre regarde le concours, ce sera une audience sans précédent», a assuré Konstantin Ernst, le directeur général de Pervy Kanal, principal organisateur de l’Intervision, en présentant le concours à la presse. En comparaison, l’audience de la 69e édition de l’Eurovision, qui s’est déroulée en mai à Bâle, en Suisse, a atteint cette année 166 millions, un record selon l’Union européenne de radio-télévision (UER).
Conçu comme un festival de la chanson des pays alliés de l’URSS, le premier Intervision avait été organisé en 1965 en Tchécoslovaquie. Après le Printemps de Prague en 1968, il avait été suspendu avant d’être relancé en 1977 en Pologne, puis de cesser d’exister avec la chute de l’URSS au début des années 1990.
Eurovision : Israël dans le viseur
Chaque membre de l’Eurovision peut librement choisir d’y concourir ou pas et sa décision sera respectée, a récemment assuré son directeur, après des menaces de boycott si Israël participe à la prochaine édition du télécrochet le plus suivi au monde. La liste des pays est déjà longue : l’Irlande, la Slovénie, l’Islande, les Pays-Bas et l’Espagne (premier pays du «Big Five» à brandir cette menace) ont déjà annoncé qu’ils n’enverraient pas de représentant à Vienne en 2026 le cas échéant, et d’autres pays (Belgique, Suède, Finlande) envisagent un boycott. Ils ont jusqu’à mi-décembre pour se décider.
L’Eurovision est régulièrement le théâtre d’oppositions géopolitiques. La Russie a été exclue à la suite de l’invasion de l’Ukraine en 2022. Le Bélarus l’avait été un an plus tôt après la réélection contestée du président Alexandre Loukachenko. La semaine dernière, l’association de l’audiovisuel public néerlandaise Avrotros avait justifié sa décision par les «sérieuses violations de la liberté de la presse» commises par les Israéliens à Gaza. Elle accuse aussi Israël d’avoir commis «des interférences prouvées lors de la dernière édition, se livrant à une instrumentalisation politique de l’événement».
Le chanteur JJ, vainqueur de l’édition 2025, avait plaidé au lendemain de sa victoire pour une édition 2026 «sans Israël», appelant également à «une plus grande transparence» concernant le vote du public, qui avait propulsé à la seconde place à Bâle la chanteuse israélienne et survivante de l’attaque du 7 octobre 2023 Yuval Raphael.
Lors de la dernière assemblée générale l’UER en juillet à Londres, ses membres ont «discuté» des «pressions» liées à la politique et aux conflits dans le monde, y compris à Gaza, et décidé de lancer un «dialogue» interne à ce sujet. Des recommandations sont attendues d’ici la fin de l’année.
Le Luxembourg ne s’est, pour sa part, pas exprimé sur le sujet, et participera comme prévu au concours Eurovision en 2026. L’appel national à candidatures s’est achevé dimanche et les auditions débuteront courant octobre, avant la grande finale du Luxembourg Song Contest, le 24 janvier prochain, qui verra l’élection du successeur de Laura Thorn (La poupée monte le son) pour représenter le Grand-Duché à Vienne.