Une comédie toujours hilarante, un drame toujours sérieux, Empathie, la série de Florence Longpré dépeint le monde médical mais sans jamais suivre la formule codifiée du genre.
Qu’elles sont rares, ces séries comme Empathie, qui touchent au cœur, brisant les tabous avec une extrême finesse et profondément humaines. Rares et précieuses. Les festivaliers de Séries Mania, plus grand évènement mondial consacré à ce format, ne s’étaient pas trompés, eux qui l’ont récompensée du prix du public en mars dernier; à vrai dire, on se laisse immédiatement emporter par ce tourbillon de vies cabossées, de trajectoires dysfonctionnelles, d’énergies contrariées, loin du romantisme d’un Grey’s Anatomy ou de la tension spectaculaire déployée dans The Pitt (ou chez son ancêtre, ER). Comme ces derniers, la série québécoise se déroule en milieu médical, mais celle-ci n’a aucunement l’intention de reprendre la formule bien codifiée du genre : plutôt, elle dessine ses propres règles, celle d’une tragicomédie encore inédite, sensible et engagée.
Cette réussite, on la doit à la comédienne et scénariste Florence Longpré. C’est elle qui incarne Suzanne Bien-Aimé, ancienne criminologue fraîchement débarquée à l’institut Mont-Royal de Montréal en sa nouvelle qualité de psychiatre. L’établissement, mi-hôpital mi-prison, accueille des personnes, le plus souvent jugées pour des actes criminels, chacun dans leur monde, en tout cas loin de la réalité : un militaire hanté par ses anciens frères d’armes, une meurtrière toxicomane en proie à des crises fréquentes, un séducteur psychopathe ou encore un jeune homme qui ne peut s’empêcher d’attirer l’attention en mettant tout ce qu’il peut… dans son slip.
Une série rare et précieuse, à l’écriture parfaite et qui touche au cœur
Bref, une population pour le moins compliquée qui donne du fil à retordre à l’équipe médicale de l’aile D du bâtiment. D’autant plus que certains piliers du groupe laissent poindre une forme de défiance envers la nouvelle cheffe de service, qui remet en cause les pratiques quelque peu arriérées de l’hôpital et ses traitements qui, semble-t-il, font plus de mal que de bien aux patients.
Le seul véritable soutien de Suzanne au boulot est Mortimer (Thomas Ngijol), l’agent d’intervention. Pas étonnant que ces deux-là se rapprochent : comme s’ils se reconnaissaient, chacun détecte tout de suite chez l’autre sa carapace – elle rigide et introvertie, lui attendant de se réfugier derrière le volant de sa voiture et de s’évader au son des comédies musicales de l’âge d’or hollywoodien – avant de découvrir, chemin faisant, leurs blessures respectives, et s’aider à les réparer.
Un épisode, un sujet
Puisqu’il s’agit d’une série (dans la conception traditionnelle du terme), chaque épisode tourne autour d’un sujet particulier, en développant en parallèle le grand récit à l’aide des astuces scénaristiques appropriées : on se gardera de révéler les tenants et les aboutissants de cette histoire chorale qui explore les troubles mentaux avec une justesse rarement (jamais?) égalée, mais sa progression, pensée dans le moindre détail, rend toujours plus émouvants et addictifs les liens qui unissent Suzanne et Mortimer – surtout ceux qui sont invisibles. Les flash-back, nombreux, ne se contentent d’ailleurs pas d’explorer les parcours difficiles (parfois dès la naissance) de cette psy dépressive et alcoolique et de son collègue paumé et secret : les patients aussi portent un lourd vécu qui les a amenés jusqu’à Mont-Royal.
Tout est dans le titre : Empathie donne à ses personnages le temps et le soin qu’ils méritent, de la même manière que Suzanne sait que le meilleur chemin vers la guérison, pour ses patients un peu particuliers, est de leur dédier l’écoute, la patience et la compréhension que personne n’a su leur accorder – ni leur famille ni les soignants. Mais avec Suzanne, la magie opère, comme le prouvent ces deux patients vivant reclus – l’un volontairement, l’autre dans sa tête – qui vont tisser une amitié inattendue et touchante.
La psy, démunie face à ses propres problèmes pourtant communs, ne fera pas toujours des miracles. Elle n’en montre pas moins que, même si certains de ses patients révéleront une face bien plus sombre qu’on le croyait, ou d’autres qui prendront un chemin tragique, l’horizontalité des rapports humains est la clef d’une vie meilleure – ce que Mortimer comprend aussi, lui qui, au contact de Suzanne, semble de plus en plus lumineux et assuré.
Des dialogues finement ciselés
Florence Longpré assure toute seule l’écriture pour un résultat parfait : la comédie est toujours hilarante, le drame toujours sérieux et souvent bouleversant – deux épisodes en particulier, en milieu et en fin de saison, sont d’une tristesse assez terrible –, les touches d’onirisme comme autant de moments de grâce (avec ces ballerines qui évoquent, littéralement et sur la pointe des pieds, cet équilibre tant recherché) les dialogues finement ciselés, surtout les plus simples, qui glissent l’air de rien mais qui marquent au fer rouge.
Et si le duo que Florence Longpré forme à l’écran avec Thomas Ngijol, décidément costaud dans les rôles dramatiques (après son polar social tourné au Cameroun Indomptables), enchante, c’est toute la distribution qu’on salue pour la puissance émotionnelle montée par l’ensemble. On a hâte de voir la saison 2, actuellement en cours d’écriture, de cette série dont on est, comme on dit au Québec, «tombé en amour»… à la folie.
Empathie de Florence Longpré. Avec Florence Longpré, Thomas Ngijol, Benoît Brière… Genre comédie dramatique. Durée 10 x 45 min. Canal+