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Réfugiés érythréens : «On nous enlève le droit d’avoir un toit»


Une quarantaine de réfugiés Érythréens ont participé à la conférence de presse organisée au restaurant Chiche! au Limpertsberg. (Photo : editpress/hervé montaigu)

Les réfugiés érythréens ont tiré la sonnette d’alarme sur leur détresse de logement lors d’une rare conférence de presse mercredi, entre expulsion, sans-abrisme et conditions d’hébergement indignes en foyers.

Deux heures avant que le restaurant Chiche! du Limpertsberg ouvre ses portes, hier midi, un brouhaha règne déjà sur place. Au fond de salle, une quarantaine de personnes sont attablées mais n’attendent pas de se voir servir l’un des plats libanais à la carte. C’est de logements stables que rêve cette assemblée constituée de réfugiés Érythréens. Ces derniers organisent une exceptionnelle conférence de presse «afin de faire part de notre peine aux Luxembourgeois et de notre terrible situation d’hébergement» lance l’un d’eux, debout face à la presse et ses compatriotes.

Si cette diaspora d’ordinaire silencieuse s’est concertée afin de prendre la parole et de former un collectif de personnes en détresse de logement, c’est à cause des procédures de déguerpissement menées par l’Office national de l’accueil (ONA) dont elle se dit victime.

Après les foyers, pas de solutions

Originaires d’un pays soumis à la dictature de son président, Isaias Afwerki, au pouvoir depuis l’indépendance en 1993, les Érythréens accueillis sont, en grande partie, bénéficiaires d’une protection internationale (BPI). Pourtant, «après avoir traversé le désert du Sarah, après avoir traversé la mer Méditerranée, après avoir perdu des proches, on nous enlève le droit d’avoir un toit.»

Signée par une centaine de réfugiés, une lettre adressée au gouvernement déplore les procédures de déguerpissement réalisées dans les foyers l’ONA auprès des bénéficiaires de protection internationale. Comme le veut le système, les BPI s’engagent à quitter les structures une fois le statut accordé. La réalité est néanmoins plus complexe.

«L’ONA nous dit : « Tu dois sortir, tu dois trouver un logement ». Mais tu trouves où?»  lance Solomon Mokonen qui traduit la conférence en français. «Tu as cinq enfants, une femme mais tu ne parles pas assez de langues pour avoir un travail ou alors tu n’as pas de CDI donc pas de revenus fixes. Comment avoir un logement?» Réfugié depuis 2014, celui qui préside l’ASBL des Érythréens au Luxembourg parle au nom de ses nombreux compatriotes, dont la plupart n’arrivent pas à trouver un toit après l’ONA.

En plus des dix adultes et six enfants actuellement sans-abri, une vingtaine d’autres réfugiés ont récemment reçu une lettre de renvoi de leur foyer. Photo : editpress/hervé montaigu

Dix adultes et six enfants mis à la rue

Dans sa lettre, le collectif estime que les logements abordables offerts en location par le Fonds du logement et la SNHBM sont «insuffisants», que ceux des communes sont «très rares» et rappelle que ceux des fondations ou associations sont souvent disponibles pour une durée limitée de trois ans.

Malgré l’absence de solutions d’hébergement qui touche la majorité de la communauté, des lettres de renvoi des foyers sont tout de même adressées par le tribunal. Dans la salle, chacun, ou presque, a dans les mains ce courrier lui ordonnant de quitter les lieux, parfois sous 24 heures avec femme et enfants. «Dix adultes et leurs six enfants sont actuellement à la rue après avoir été expulsés» mentionne celui qui dirige la conférence. Et ils sont au moins une vingtaine disant avoir reçu une lettre de renvoi dans les dernières semaines.

Sans adresse, les réfugiés perdent alors leurs aides, leur emploi, la scolarité de leurs enfants et risquent l’éloignement familial. «Parmi l’une des familles à la rue, les policiers ont voulu prendre les enfants afin de les placer, heureusement qu’ils ont réussi à éviter cela.»

«On aurait dû parler avant»

Durant la conférence, ponctuée de témoignages poignants, les conditions d’accueil réservées aux Érythréens dans les foyers sont également pointées du doigt. À Soleuvre, 28 femmes habiteraient dans une seule et même grande pièce tandis qu’une dizaine d’hommes disent partager la même chambre à Mondercange. Le tout avec l’interdiction de filmer ou photographier leur logement, selon les intéressés.

Pour Solomon Mokonen, «on aurait dû parler avant de tous ces problèmes.» «Nous venons d’un pays compliqué et les gens ont peur de manifester ici, ils ne veulent pas montrer leurs problèmes en public mais c’est la solution» affirme-t-il. La lettre vise donc à briser ce silence, tout en demandant au gouvernement de visiter les foyers, de créer un service pour les personnes en détresse de logement, d’héberger les sans-abri et d’arrêter les procédures de déguerpissement.

Comme elle a commencé, la conférence s’est achevée dans une prière collective, avec l’espoir d’être entendus.

De nombreux réfugiés ont témoigné de leur vie sans logement, des lettres de renvoi et des conditions d’accueil indignes en foyers. Photo : editpress/hervé montaigu