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[Critique cinéma] «Highest 2 Lowest» : un roi à New York


Avec Highest 2 Lowest, Spike Lee se prête une nouvelle fois au jeu du remake, en reprenant le polar classique d’Akira Kurosawa High and Low. (Photo : apple tv+)

Retrouvez notre critique de Highest 2 Lowest, le dernier film de Spike Lee.

Ces dernières années, on a plus souvent remarqué Spike Lee en bord de terrain au Madison Square Garden ou au festival de Cannes que derrière une caméra. Son précédent long métrage, Da 5 Bloods (2020), l’histoire de cinq vétérans qui retournent au Vietnam, plus de quarante ans après la fin de la guerre, pour y retrouver le corps de leur chef d’escadron et le trésor qu’ils ont planqué, évoquait pour la première fois, en filigrane du commentaire social et de la satire politique, le thème de la vieillesse.

La confession que Lee a entamé la phase tardive de sa carrière – la dernière? Highest 2 Lowest, son nouveau long métrage, a de quoi nous conforter dans cette idée, d’abord parce qu’il marque des retrouvailles éclatantes entre Spike Lee et Denzel Washington, duo iconique du cinéma américain s’il en est, quasiment vingt ans après Inside Man (2006). L’acteur y interprète David King, un patron de label musical, connu pour avoir «la meilleure oreille de l’industrie», qui doit faire face à un double kidnapping, à une demande de rançon et au dilemme moral entre les deux.

Le personnage mélange de près ou de loin des traits de caractère de tous les héros joués par Washington dans ses quatre autres collaborations avec Spike Lee : King est une icône de la musique en dangereuse perte de vitesse (Mo’ Better Blues, 1990), un père égoïste, toxique et enclin aux risques qui pourraient mettre en danger sa famille (He Got Game, 1998), poussé par ses proches à se racheter et à retrouver sa fierté (Malcolm X, 1992), et qui doit redoubler d’audace pour négocier avec son ennemi (Inside Man). Un héros inattendu, pas vraiment sympathique mais au charisme magique – sans doute le personnage le plus flamboyant de la filmographie de Spike Lee, dans la peau duquel Denzel Washington se sent, naturellement, comme dans un costume taillé sur mesure.

Spike Lee retrouve le plaisir de la pure création et son bon goût excentrique

Avec Highest 2 Lowest, Spike Lee se prête une nouvelle fois au jeu du remake, en reprenant le polar classique d’Akira Kurosawa High and Low (1963). Plutôt une réinterprétation qu’un remake, d’ailleurs, comme il avait bien su le faire avec Da Sweet Blood of Jesus (2014), repris du film de vampires Ganja & Hess (Bill Gunn, 1973) – tandis qu’avec un remake à proprement parler, cela donnait l’impersonnel et franchement oubliable Oldboy (2013), d’après le thriller culte du même nom (Park Chan-wook, 2003). High and Low n’est pas le plus célèbre des films du maître japonais, mais c’est assurément l’un de ses plus sombres et psychologiquement complexes.

Lee, qui tient Kurosawa pour un intouchable, ne tente pas la psychologie de comptoir ni la sophistication graphique de son modèle. King est un personnage aux nombreuses nuances, mais celles-ci se cachent sous une grosse dose de fun; l’ensemble du film est à la même image, efficace, franchement galvanisant et en roue libre. Sur ce dernier point, citons pour exemples la légèreté avec laquelle Denzel Washington glisse d’une nuance à l’autre de son personnage, comme du jazz, la portée dramatique des sautes de montage ou d’un clip de rap onirique, la bande son qui slalome entre les thèmes impérieux de Howard Drossin, semblables à une musique de jeu vidéo, et les classiques de la funk et du disco que King écoute en voiture ou dans son casque Beats… en or, ou encore le face-à-face entre Denzel Washington et ASAP Rocky (excellent en antagoniste), qui prend la forme d’un battle de rap.

Des thèmes profonds et contemporains

À 68 ans, Spike Lee semble avoir retrouvé le plaisir de la pure création (bien que le scénario soit signé d’un jeune scénariste inconnu, Alan Fox) et le bon goût excentrique de ses plus jeunes années. Mais cela est loin d’être juste une question de style : au fil du récit, Lee touche à des thèmes profonds et contemporains, comme le sens de l’amitié et de la famille, la valeur de l’argent, le sens des priorités et tous les éléments sur le curseur moral qui font qu’un homme est digne ou pas d’être respecté. Et Lee de traduire ces questionnements personnels en filmant sa ville, New York, comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

Sa représentation va de pair avec l’évolution du héros, d’abord enfermé dans son penthouse qui surplombe le pont de Brooklyn, en bon roi de la ville, avant d’être forcé d’en descendre. Plongé dans l’effervescence des rues ou les rames bondées du métro, entre la frénésie d’une fête célébrant la communauté portoricaine et l’énergie intenable des supporters (Lee en profite pour lancer quelques piques à Boston, ennemi juré de New York au baseball et au basket), King redevient le New-Yorkais ordinaire, survêtement noir et casquette des Yankees. Son odyssée entre le plus haut et le plus bas est le chemin d’un homme poussé à l’urgence de se ressaisir. Spike Lee, en ce sens, procède à un hommage vibrant à une ville où tout est possible, même retrouver une dignité perdue.

Highest 2 Lowest de Spike Lee. Avec Denzel Washington, Ilfenesh Hadera, Jeffrey Wright, ASAP Rocky… Genre thriller. Durée 2 h 13. Apple TV+

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