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En Asie, un océan sans fin de plastique


Entre un marché toujours plus «inondé» par les plastiques non recyclables et des politiques publiques peu concluantes quant au tri des déchets, les pays d’Asie font face à un océan de plastique. Pour les militants de l’environnement, la tâche semble insurmontable.

Kulsum Beghum trie les déchets sur une décharge de Dacca au Bangladesh. Son sang présente un taux très élevé de 650 microplastiques par millilitre, selon une analyse financée par le syndicat des récupérateurs de déchets.

«Le plastique n’est pas bon pour moi», a-t-elle dit via un traducteur, au cours d’un entretien à Genève mi-août, en marge des négociations destinées à écrire le premier traité plastique international, où elle était venue témoigner de ses conditions de travail aux côtés des représentants de 184 pays.

«Ça a commencé il y a 30 ans» à Dacca, a raconté cette femme de 55 ans, soutenue par son syndicat. Au début, «le plastique, c’était pour l’huile de friture et les sodas», puis sont venus «les sacs de courses» qui ont remplacé les traditionnels sacs en jute. «On était attiré par le plastique, c’était tellement beau!»

Aujourd’hui, dans un pays parmi les plus fragiles économiquement de la planète, le plastique envahit tout, il tapisse les rues et les plages, obstrue les canalisations. Alamgir Hossain, membre d’une association affiliée à l’alliance internationale des ramasseurs de déchets, a montré des photos sur son téléphone.

Kulsum Beghum, elle, voudrait surtout que les plastiques non recyclables soient interdits, car elle ne peut pas les revendre, ceux-ci n’ayant aucune valeur marchande.

Même remarque chez l’Indienne Indumathi, venue de Bangalore, en Inde, également pour témoigner : 60 % des déchets plastiques qui arrivent dans le centre de tri qu’elle a créé «sont non recyclables», expliquait-elle. Ce sont par exemple des sacs de chips mêlant aluminium et plastique, ou d’autres produits utilisant du plastique «multicouche» : «Personne ne les ramasse dans les rues et il y en a beaucoup.»

Analyse de terrain confirmée par les scientifiques présents aux négociations de l’ONU à Genève. «Les sachets en plastique multicouche sont une catastrophe pour l’environnement, ils ne peuvent pas être recyclés», soulignait Stéphanie Reynaud, chercheuse en chimie des polymères au CNRS à Pau en France.

Indamathi a aussi analysé à sa façon les échecs de certaines politiques publiques : après l’interdiction des sacs à usage unique en 2014, elle a vu arriver les «lunchboxes» en polypropylène noir ou transparent, à usage unique aussi. «On en voit de plus en plus dans les rues ou dans les décharges. Elles ont remplacé les sacs de courses», a-t-elle décrit.

Selon un récent rapport de l’OCDE portant sur le plastique en Asie du Sud-Est, des «politiques publiques plus ambitieuses pourraient faire baisser les rejets de plus de 95 % d’ici à 2050» dans ces pays où la consommation de plastiques a été multipliée par neuf depuis 1990, à 152 millions de tonnes en 2022. Mais pour les militants de l’environnement, la tâche est rude devant cet océan de plastique.

«Ce n’est pas la demande du consommateur» qui en est la cause, estime Seema Prabhu, de l’ONG Trash Heroes, basée en Suisse, et travaillant principalement dans les pays d’Asie du Sud-Est. «Le marché a été inondé» d’objets en plastique à usage unique qui remplacent des objets traditionnels en Asie, comme les emballages en feuille de bananier en Thaïlande ou en Indonésie, ou encore les gamelles en métal consignées en Inde. «C’est un nouveau colonialisme qui érode les cultures traditionnelles», dit Seema Prabhu.

Selon elle, plus d’emplois pourraient être créés «dans une économie de la réutilisation que dans une économie de l’usage unique». Les «sachets» (même en anglais, c’est le mot français qui est utilisé), pour les shampooings, les lessives ou les sauces, sont «une plaie», ce sont «les plus petits objets plastiques dont l’industrie nous a intoxiqués», dénonce pour sa part Yuyun Ismawati Drwiega, qui copréside l’ONG internationale IPEN (International Pollutents Elimination Network). «Ils sont faciles à transporter, faciles à obtenir, chaque kiosque en vend», explique-t-elle.

En Indonésie, des centres de collecte et de tri spécialisés dans les sachets ont vu le jour puis ont été fermés. Et ils s’accumulent. À Bali, où elle réside, Yuyun Ismawati Drwiega organise des visites guidées qu’elle a surnommées «la belle et la bête». La beauté, ce sont les plages et les hôtels de luxe, la bête, c’est l’arrière, les usines de tofu qui utilisent des briquettes de plastique comme combustible ou les déchetteries.

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