Manou Cardoni, directeur technique national, a été profondément meurtri par le choix de Brian Madjo de rejoindre les U17 anglais. Il nous a raconté ces quelques jours qui l’ont ébranlé.
Jeudi dernier, en conférence de presse, Jeff Strasser a eu une pensée pour vous, qui avez travaillé tant d’années aux côtés de Brian Madjo et de sa famille. Le nouveau sélectionneur indiquait que pour vous, c’était très dur.
Manou Cardoni : Derrière chaque joueur que nous avons à Mondercange, il y a un être humain. Et c’est cet être humain qui m’intéresse. Et le vécu que j’ai avec eux fait que j’ai ressenti de nouveau ce que j’ai ressenti avec Gil Neves (NDLR : le joueur du Benfica a finalement opté pour le Portugal). Sauf qu’avec Brian, c’est encore un peu plus dur. Disons que… je n’ai pas bondi de joie en apprenant la nouvelle.
Vous ne l’avez pas sentie venir ?
Je commençais à avoir une appréhension parce que les contacts entre nous commençaient à devenir plus secs, plus lointains. Ces cinq dernières années, il y avait toujours eu de l’humour entre nous. Là, quand je me remémore la tournure de nos échanges, c’est comme s’il se préparait à quelque chose.
Comment avez-vous été prévenu ?
Je l’avais eu au téléphone lundi. Mais quand le mardi, j’ai appris que ses deux agents voulaient m’avoir en visio, tous les deux ensemble, j’ai immédiatement compris, j’ai su ce qui allait suivre. Dans la foulée, j’ai eu la mère de Brian. Puis lui.
À quoi a-t-elle ressemblé, cette conversation avec un gamin de 16 ans qui doit annoncer une nouvelle comme celle-ci ?
Pas facile. Ni pour lui, ni pour moi. Je n’ai pas cherché à lui faire de reproches. Ni même à le faire changer d’avis. Il était trop tard. Si il m’avait appelé il y a quelques semaines pour me consulter, me demander mon avis, je lui aurais donné. Mais là, il a pris sa décision et je n’ai aucune chance de le ramener. Surtout qu’il y a une logistique derrière. Des engagements avec la fédération anglaise ont déjà dû être pris bien en amont. Il avait déjà accepté et il y a peut-être en plus des trucs que nous sommes loin de savoir. Alors, j’ai surtout essayé de comprendre mais je n’ai pas vraiment compris. Pourquoi accepter, aujourd’hui, d’aller chez les U17 anglais? Je l’ai senti gêné. Mais il avait aussi dû être bien briefé en amont. Et il nous a mis une grosse claque.
Je n’ai pas cherché à lui faire de reproches, ni même à le faire changer d’avis (…) Je l’ai senti gêné
S’est-il excusé ?
En fait, je ne sais plus. Pour être honnête, j’étais trop consterné et dans cette discussion, il y a eu de nombreux vides, des moments de blanc. J’étais dans une forme de déception qui va au-delà du sportif. Lui, n’oublions pas que cela reste un adolescent de 16 ans pour qui ce n’est pas évident de s’exprimer. Je ne crois pas avoir entendu le mot « désolé« , non. Mais j’aurais surtout voulu qu’il me le dise en face.
C’est un choc qui a abattu toutes vos illusions, vous qui nous disiez, lors de son arrivée dans le groupe des Rout Léiwen que le concernant, vous aviez des certitudes sur son investissement pour ce pays, pour ce maillot, pour ce drapeau ?
Lors de quelques interviews, il avait répété qu’il nous devait beaucoup de choses. Ce qui me déçoit le plus, c’est qu’avec des garçons comme lui ou Gil Neves, on pouvait donner une profondeur incroyable à ce groupe. En même temps, je me dis que ces garçons, tous, devraient se rendre compte que ce pays leur a tendu la main, leur a offert un avenir. Le Luxembourg, ce n’est pas juste un passeport. C’est une question d’éducation, de respect. C’est cette carte-là que nous devons jouer, au CFN. Celle qui fait que des Danel Sinani ou Leandro Barreiro reviennent défendre ce maillot et donnent tout pour lui.
Avez-vous l’impression d’avoir travaillé pendant cinq ans pour la fédération anglaise de football ?
On espère qu’un jour, ces fuites vont s’arrêter. Mais on se rend compte que plein d’autres fédérations ont le même problème. En Belgique, en Allemagne… (il soupire) Est-ce que j’ai travaillé pour la fédération anglaise? Je ne pense pas. Moi, je travaille pour les jeunes, pour leur développement. C’est ça qui me pousse. Je suis là pour eux, mais je ne demande pas de merci.
Qu’il se laisse juste le temps avant de prendre sa décision
Cette nouvelle « affaire« de fuite des talents, vous attendez-vous à ce qu’elle ait un impact qui pourrait vous être préjudiciable dans la tête des jeunes joueurs du CFN ?
Je ne saurais pas vous le dire. Je ne fréquente pas les réseaux sociaux, je ne suis pas avec eux dans les navettes qui les amènent au centre de formation pour savoir ce qu’ils se disent entre eux. Ça reste des jeunes de 15 ans, qui ont en tête des trucs de jeunes. Tout ce que je veux pour eux, c’est une adolescence épanouie.
Une adolescence qu’ils vivent pour nombre d’entre eux, entre deux voire trois nationalités. Quelle est la proportion de binationaux au CFN? Quel est le risque que ce genre de choses continue de se multiplier ?
Je ne sais pas quelle est la proportion. Énorme. Même ceux qui ont un nom bien luxembourgeois ont une grand-mère qui vient de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne ou de France. Mais bon, voilà, on est un pays multiculturel. C’est une force mais aussi une faiblesse. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Et des fois, il y a des choses qui ne vont pas dans le bon sens.
Madjo, c’est allé dans le mauvais sens. Il n’y a plus aucune chance de le revoir ?
Pour moi, Madjo, ce n’est pas fini! On ne ferme pas la porte. Il faut se rendre compte aussi qu’il a pris une « hype« incroyable. Sélectionné, titularisé en Ligue 1, on ne parlait plus que de lui. Mille choses lui sont tombées sur la tête en même temps et ce n’est pas facile à gérer. Il peut m’appeler quand il veut. Moi ou un autre à la FLF. On discutera. On verra comment on peut rectifier le tir. Je ne le juge pas. Qu’il se laisse juste le temps, qu’il observe comment ça se passe ailleurs puis qu’il prenne sa décision. C’est comme Yoan Pereira (NDLR : le jeune ailier de Porto a aussi opté pour le Portugal). Attendons de voir comment ces jeunes évoluent et voyons s’ils ne vont pas nous retomber dans les bras, plus tard. Et puis vous savez, des pépites qui montent, on en a d’autres. Peut-être pas aussi fortes que Brian Madjo, mais quand même…