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Japon : dans le piège des bars à hôtes


(photo AFP)

Le Japon mène l’offensive contre les clubs d’«hosts», très prisés, où des jeunes hommes séduisants divertissent des femmes prêtes à payer pour une pseudo-idylle : un secteur prospère mais gangrené. Ambiance.

Le principe de ces établissements clinquants, omniprésents au Japon, repose sur des «hosts», jeunes hommes élégants et bien coiffés, qui charment les clientes féminines par de belles paroles et une illusion d’intimité.

En échange, ces clientes paient des bouteilles de champagne et autres boissons hors de prix, allant dans les cas extrêmes jusqu’à dépenser plusieurs dizaines de milliers d’euros en une soirée.

Mais les autorités durcissent le ton face aux accusations selon lesquelles certaines femmes, éprises, seraient poussées à contracter d’énormes dettes – et pour certaines réduites à se prostituer pour les rembourser.

Une législation entrée en vigueur en juin interdit désormais de tirer avantage des sentiments amoureux des femmes pour les pousser à commander des boissons à prix exorbitants.

Un coup dur pour ce secteur construit sur le jeu de la pseudo-romance, allant des flirts anodins jusqu’à des relations sexuelles après les heures d’ouverture. Pour John Reno (son nom dans le métier), 29 ans et star du quartier rouge de Kabukicho à Tokyo, cette répression n’a rien de surprenant, tant «le nombre de hosts proches des escrocs», a explosé, confie-t-il.

Autrefois, les «hosts» jouaient de l’impression d’intimité comme outil de divertissement des femmes, dit-il. Mais aujourd’hui,  «leur état d’esprit, c’est en gros : « Si tu m’aimes, alors ne te plains pas », ce qui revient à faire taire les femmes et exploiter leur dépendance émotionnelle», affirme le jeune homme, propriétaire du Club J.

En 2024, environ 2 800 cas de problèmes liés aux «host clubs» ont été signalés à la police, contre 2 100 deux ans plus tôt, selon les données officielles. Des soupçons d’exploitation sexuelle ont provoqué une profonde remise en question : certains «hosts» sont soupçonnés d’engranger des profits en présentant leurs clientes fauchées à des rabatteurs qui les introduisent dans l’industrie du sexe, selon la police.

Et des femmes semblent prêtes à tout accepter pour leur «host préféré». «Ils leur promettent en retour qu’elles seront récompensées par une vraie relation, voire le mariage», critique John Reno. «Ce n’est rien d’autre qu’une arnaque !», insiste-t-il, précisant qu’aucun employé de son Club J n’use de telles pratiques.

Autrefois fréquentés par des femmes d’affaires fortunées, ces clubs accueillent de plus en plus de jeunes filles en détresse n’ayant «nulle part où aller», affirme Arata Sakamoto, de l’ONG «Rescue Hub», basée à Kabukicho. «Les clubs sont devenus un lieu où elles se sentent acceptées» et peuvent «être elles-mêmes, même si c’est contre de l’argent», observe-t-il.

J’espère que cet endroit continuera à faire bouillonner mes hormones féminines !

En cette soirée de juillet, au club flamboyant Platina, une femme de 26 ans trinque entourée d’hommes souriants mais assure garder la tête froide. «Certains « hosts » vont jusqu’à vous laver le cerveau, mais les femmes devraient aussi savoir qu’il ne faut pas boire au-delà de leurs moyens», confie cette travailleuse indépendante, sous couverte d’anonymat.

Une autre cliente, 34 ans, employée du secteur technologique, confie fréquenter le Platina pour «mettre un peu de piment dans ma vie monotone». «J’espère que cet endroit continuera à faire bouillonner mes hormones féminines !», sourit-elle.

Les nouvelles règles, très générales, n’interdisent pas les gestes d’intimité en soi, mais des comportements tels que menacer de mettre fin à une relation avec un client s’il refuse de commander des boissons. Une autre évolution déstabilise le secteur : la police a informé les clubs que, sur les panneaux publicitaires, les formules vantant les performances ou la popularité d’un «host» sont désormais interdites.

Ces affiches tapageuses proclamant un host «n° 1» ou «multimillionnaire» alimentant une compétition acharnée sur la base des revenus supposément empochés. Se proclamer «conquérant», «dieu» ou «roi» de Kabukicho, ou inviter les clientes à «se noyer dans l’amour», est également prohibé.

Résultat : des bandes noires recouvrent les slogans interdits, effaçant les portraits glamour. «Un cap radical est franchi», cela entraîne une profonde «perte de moral» chez les «hosts», déplore Ran Sena, 43 ans, propriétaire du club Platina.

«Beaucoup rêvent d’être le meilleur, de décrocher un titre et devenir célèbres dans ce quartier», mais sans classement, ni récompense publique, «ils ne savent même plus vers quoi ils doivent tendre», explique-t-il. Pour les clientes aussi, ces classements étaient la preuve que leur argent contribuait à l’ascension de leur «oshi» («favori»). «Honnêtement, je pense que ce secteur va décliner», conclut Ran Sena.

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