Carloh et Flex, les deux services d’autopartage principaux du pays, réfléchissent à un avenir en commun tant leurs déficits, entre 3,7 et 4,2 millions d’euros, semblent voués à s’accroître sans changement de leur modèle d’affaires.
En octobre prochain, cela fera dix ans que l’autopartage, ou carsharing, est présent au Grand-Duché, avec comme pionnier une société appartenant à la Ville de Luxembourg : Carloh. Dans la capitale, comme ailleurs, le concept d’autopartage a été lancé en raison de ses divers avantages annoncés : pour l’utilisateur, réduction du coût et du stress liés à la propriété d’une voiture; pour tous, libération de places de parking, bénéfices environnementaux, décongestion du trafic.
De quoi séduire également les Chemins de fer luxembourgeois (CFL) qui se dotent d’un service d’autopartage, Flex, en 2018 et, plus récemment, l’Automobile Club du Luxembourg (ACL) dans le nouveau quartier Elmen, à Kehlen. Sur le plan gouvernemental, l’autopartage est l’un des volets du réseau de mobilité multimodale prévu par le Plan national de mobilité 2035. Malgré cette belle vitrine, le succès est pour le moins contrasté.
Des millions d’euros de déficit
Un rapide coup d’œil sur les bilans financiers 2024 de Carloh et de Flex suffit à comprendre que la rentabilité est un défi qui peine à être relevé. Depuis sa création en 2014, le service de la Ville de Luxembourg a accumulé un déficit de 4 290 776 euros. CFL Mobility, qui gère le service Flex, affiche, elle, 3 770 427 euros de déficit depuis son lancement. Pourquoi de telles pertes? Et quelles conséquences sur l’avenir des deux services?
Du côté de Carloh, ces questions ont été posées lors d’un conseil communal le 7 juillet dernier par François Benoy (déi gréng). En tant que fervent défenseur de l’autopartage, «absolument essentiel pour la mobilité du futur», le président du parti écologiste souhaitait savoir «pour combien de temps les fonds propres disponibles permettr(aient) encore à la société de fonctionner dans sa forme actuelle, sans augmentation de capital supplémentaire».
Ici, il faut savoir que le capital de Carloh a été augmenté à hauteur de 1 799 919 euros le 30 septembre dernier, sans quoi la société aurait été en défaut de paiement au dernier trimestre de l’année. Au bord de la faillite donc. Patrick Goldschmidt, l’échevin en charge de la mobilité, a alors répondu qu’«avec la hausse du capital, la société pourra bien fonctionner jusqu’en 2027-2028 s’il n’y a pas d’autres modifications majeures». Tout en sachant que le déficit continue de se creuser, puisque «la perte en 2025 se chiffrera, à peu près, à 500 000 euros».
«Un manque de communication»
Lors du vote de la hausse du capital, l’échevin avait été clair : «L’offre d’autopartage ne couvrira jamais ses coûts.» La Ville avait d’ailleurs été contrainte de lancer son propre service face au désintérêt des entreprises internationales, selon lesquelles «le territoire n’était pas assez important pour être rentable».
Ce n’est donc pas une surprise si Carloh coûte plus qu’il ne rapporte. François Benoy considère néanmoins que le déficit pourrait être allégé et pointe «un manque de communication offensive pour faire connaître Carloh et gagner de nouveaux clients». «Malheureusement, certains élus de la majorité n’ont apparemment pas compris cela.» Le plus frustrant pour le conseiller communal écologiste est que «le service fonctionne très bien».
Entre 2020 et 2024, le nombre d’abonnés est passé de 700 à 1 118 (+59,7 %), tandis que le cumul annuel des trajets a quadruplé (de 3 000 à 12 488). «Mais cela n’a pas eu d’effet positif sur le résultat commercial», déplore Patrick Goldschmidt, qui révèle que «le taux d’occupation de deux tiers des stations est de 18 % ou tout juste». Les 25 stations Carloh, qui proposent 45 véhicules, dont un van, sont donc largement sous-utilisées.
Vers une fusion de Carloh et Flex ?
Pour Flex, on l’a vu, l’herbe n’est pas beaucoup plus verte en matière de déficit, «à la différence que le fournisseur national a plus de moyens, qu’il dispose de plus de voitures et de plus de personnel», selon Patrick Goldschmidt. Les chiffres affichés par les CFL sont effectivement plus imposants : 80 stations dans tout le pays, plus de 250 véhicules, 20 341 clients, 80 entreprises clientes et 19 employés. Soit 15 de plus que Carloh. Patrick Goldschmidt ne cache pas que ce faible effectif est également une menace : «Si un employé quitte l’entreprise, la pérennité de l’offre est remise en question.»
Afin d’améliorer la visibilité et la qualité du service de la capitale, la question d’une coopération ou d’une fusion avec Flex se pose au sein du conseil communal. Sur ce point, l’échevin confirme être en contact «depuis plus de six mois» avec les CFL et il ajoute que «les discussions sont positives». «L’idée est plutôt de passer par Flex, mais, déjà, il faut voir ce qu’il en est d’un point de vue législatif.»
Si les textes permettent une synergie entre les deux entités, l’avenir de l’autopartage au Grand-Duché pourrait alors prendre un tournant. Quoi qu’il en soit, un rapprochement ne signifiera pas la fin des subventions. «Un service de carsharing à l’échelle du Luxembourg ne peut probablement pas fonctionner sans aide étatique, mais par rapport au budget de la Ville ou de l’État, c’est tout à fait justifié», affirme François Benoy.