Cet été, la rédaction du Quotidien vous emmène à la découverte de lieux et d’activités insolites à travers le patrimoine du Grand-Duché. Nous partons à la rencontre de celles et ceux qui, animés par la passion, font vivre ces petits bouts d’histoire dissimulés.
Si les casemates du Bock, le Palais grand-ducal ou encore le château de Vianden sont des lieux incontournables pour tout touriste digne de ce nom, le Luxembourg recèle également de nombreux lieux et activités insolites qui prennent vie grâce à des passionnés amoureux du patrimoine secret du Grand-Duché.
Musée du Tram, visite guidée centrée sur les faits divers aux côtés d’un policier à la retraite ou encore rencontre avec un passionné d’histoire, nous vous emmenons, pendant tout l’été, à la rencontre des lieux et des histoires dissimulées. Ce samedi, nous avons rendez-vous avec Percy Lallemang, chargé de direction au Musée rural de Peppange. Cet après-midi-là, il n’est pas question de visiter le monde de la ruralité au Luxembourg, mais bien de découvrir l’univers des calèches. Depuis 2003, un musée consacré à ces véhicules anciens attend le public à Peppange.
Des voyages très longs
Dans les murs d’un ancien monastère, 40 véhicules appartenant à d’anciennes familles luxembourgeoises ou européennes sont exposés. La visite débute par l’une des pièces phares du musée, la dernière calèche de la Poste grand-ducale. «Nous l’avons depuis la fermeture, en 2017, du musée de la Poste. Elle date de 1890 et a été exploitée jusque dans les années 1930. Elle circulait dans le nord du pays», explique Percy Lallemang.
Il fallait de quatre à cinq jours pour se rendre de Luxembourg à Bruxelles
À côté de ce véhicule se trouvent deux autres hippomobiles, pas encore rénovées, qui étaient utilisées à la fin du XIXe siècle pour voyager. Ces omnibus pouvaient accueillir jusqu’à huit personnes dans leur habitacle. «Les voyages étaient très longs à l’époque. Il fallait de quatre à cinq jours pour se rendre de Luxembourg à Bruxelles. Les passagers changeaient de véhicules pendant le trajet. Il y avait tout un réseau qui fonctionnait. On pouvait d’ailleurs réserver son ticket. Les horaires étaient publiés dans les journaux», détaille le chargé de direction du Musée rural et du musée des Calèches.

Durant ce voyage, les bagages étaient disposés sur le toit et bien attachés. Certaines de ces pièces pouvaient être très onéreuses. «Nous avons ici un coffret pour trois paires de chaussures de la marque Louis Vuitton. Nous l’avons mis dans un coffre, parce que cela vaut près de 10 000 euros», sourit Percy Lallemang. Durant les trajets de plusieurs jours, les valises étaient agrémentées de nombreuses affaires de toilette. «À l’intérieur, on pouvait trouver de l’eau de Cologne ou de la poudre. Cela permettait aux passagers de se rafraîchir. On trouvait aussi des cols de chemise ou encore des sets de manucure. En hiver, les dames pouvaient aussi se réchauffer avec des boîtes en acier contenant du charbon», poursuit-il.
Des pièces précieuses de la famille grand-ducale
La visite continue dans la deuxième pièce du musée. Ici, nous découvrons des véhicules plus atypiques, comme les traîneaux. «Nous en avons certains qui appartenaient à la Cour grand-ducale. Le Grand-Duc Adolphe en possédait un. Il l’utilisait dans son château à Walferdange. On peut constater qu’au début du XXe siècle, il neigeait beaucoup plus qu’aujourd’hui», fait remarquer Percy Lallemang.
Les calèches servaient aussi bien à se déplacer de ville en ville que pour le travail. «Les avocats ou les médecins s’en servaient pour aller voir leurs patients ou clients. Ce modèle était très présent dans la ville de New York. D’ailleurs, on peut voir ici de grands pare-chocs qui permettaient aux passagers de se protéger des déjections des chevaux. Dire « merde » pour se souhaiter bonne chance vient d’ailleurs de cette époque. On disait que s’il y avait beaucoup de crottes de cheval devant un théâtre, c’est sans doute qu’il allait y avoir beaucoup de spectateurs.»

Nous pénétrons ensuite dans la salle «Calèche, cour et château». Ici, des véhicules rares sont exposés. Parmi eux, des chaises à porteur datant du XVIIIe siècle permettaient aux riches aristocrates d’être transportés par leurs valets. «Ce sont des pièces rares, car après la Révolution française, beaucoup ont été détruites, puisqu’elles étaient le symbole de la décadence aristocratique. Nous avons la chance d’en avoir deux», se réjouit Percy Lallemang.
Au fond de la grande pièce du monastère, nous découvrons plusieurs véhicules utilisés à l’époque par la famille grand-ducale. Parmi eux, l’un appartient toujours à la Cour. «Nous avons la chance d’avoir la calèche de cérémonie qui fut choisie lors du mariage entre le Prince Félix et la Grande-Duchesse Charlotte en 1919 (…). Il y avait quatre personnes qui travaillaient en permanence sur ce véhicule. Le cocher et le valet qui aidait au freinage. Jusqu’à six chevaux pouvaient être attelés. Pour l’anecdote, une loi précise que le Grand-Duc est la seule personne au Luxembourg à pouvoir atteler six chevaux. Quand nous l’avons reçu dans notre musée en 2015, nous lui en avons fait part et il était surpris, car il n’était pas du tout au courant de cette législation», sourit notre guide.
Des calèches réalisées sur commande
Calèches pour les enfants tractées par des boucs, véhicule auto-école, taxi pour les invités de la Cour, calèches touristiques… Au fur et à mesure de la visite, nous découvrons les différents types de voitures datant de la fin du XIXe siècle. À l’époque, ces moyens de transport étaient réservés à une partie privilégiée de la population. «On ne les fabriquait pas en série dans des usines. Elles étaient faites sur commande dans des ateliers de charron. Il y en avait plusieurs au Grand-Duché, à Echternach, Luxembourg ou Diekirch. Seules les personnes appartenant à une certaine classe sociale pouvaient se permettre de se payer ces véhicules. Ils en avaient souvent un ou deux. Les aristocrates ou les membres de la Cour en possédaient plus d’une dizaine», explique Percy Lallemang.
Seules les personnes appartenant à une certaine classe sociale pouvaient se permettre de se payer ces véhicules
Le voyage au temps des calèches s’achève par une dernière salle un peu particulière, celle des corbillards. «On voit encore ce genre de véhicule dans les anciens films d’horreur», précise le chargé de direction. À la fin du XIXe siècle, ces hippomobiles étaient conduites par des cochers qui détenaient une permission, l’ancêtre du permis de conduire. «Il y avait déjà beaucoup de trafic dans les grandes villes à partir de 1870. À Londres, par exemple, un agent de police se trouvait sur un petit podium au milieu d’une grande rue. Il gérait la signalisation avec des panneaux verts et rouges», raconte Percy Lallemang.
Aujourd’hui, les calèches du XIXe siècle sont encore utilisées dans certaines villes ou lors de rassemblements steampunk. À Peppange, elles sont devenues des pièces prestigieuses de musée, grâce notamment au prêt de leurs propriétaires, des passionnés d’une époque aujourd’hui révolue.