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[Cinéma] La Cinémathèque paye sa dernière tournée de cinéma


Mulholland Drive, de David Lynch, est, à l’image du cinéma lui-même, une énigme qui ne cherche pas à être résolue. (Photo : studiocanal)

En ce mois d’août, la Cinémathèque propose «Movieland», soit une série de films avec un acteur récurrent dans le casting : le cinéma lui-même. Mises en abyme, hommages ou parodies, les frontières entre fiction et réalité sont brouillées.

Faire un film pendant qu’on le regarde

Filmer un film qui se fait : tel est le vertige du cinéma dans le cinéma. Une mise en abyme, un miroir sans fin. Un principe littéraire d’abord, dans lequel le héros lui-même est en train d’écrire ou a écrit un livre, chez John Fante ou chez Philippe Djian.

Mais dès qu’on ajoute la pellicule, le procédé devient un grand spectacle. Dans La grande bellezza (Paolo Sorrentino, 2013), le personnage principal contemple Rome, médite sur l’art, se souvient de sa jeunesse et conclut par ces mots : «Alors que ce roman démarre», sauf que le roman en question, c’est un film, à savoir celui que nous venons de voir.

C’est le cinéma qui s’écrit sous nos yeux. Dans C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, 1992), l’équipe de tournage suit (ne traque pas) un tueur en série en (faux) temps réel dans un (faux) documentaire aussi noir (et blanc) que marrant. De la théorie à la pratique du criminel cabotin, la mise en scène est frontale, la fiction flirte avec le réel, et l’illusion devient un piège; on croit voir un making-of.

Même principe dans Bowfinger (Frank Oz, 1999) : Steve Martin y joue un réalisateur fauché qui tourne un film à l’insu de sa star (Eddie Murphy, mais qui ne joue pas Eddie Murphy), en l’espionnant à l’aide d’une caméra cachée.

Le spectateur suit donc l’élaboration du film avant de découvrir, à la fin, le film lui-même. On croit être témoin, on est complice. Dans Tropic Thunder (Ben Stiller, 2008), le procédé est poussé jusqu’à l’absurde : une équipe de tournage travaille sur un film de guerre, mais finit par vivre une vraie guerre, sans s’en rendre compte.

Le tournage devient mission, et le jeu enjeu. Il y a de quoi rire. Parce qu’à l’écran, souvent, le chaos fait un excellent divertissement.

La caméra aime le cinéma

Il y a des films qui célèbrent le septième art, en en montrant les rouages, les décors, les pièges, et surtout la passion qu’on lui porte. The Artist (Michel Hazanavicius, 2011) rend hommage au cinéma muet en jouant, évidemment, la carte du noir et blanc, mais ce n’est pas exactement le même noir et blanc que dans C’est arrivé près de chez vous, il y a aussi des intertitres et du jeu expressif.

Un pastiche? Non : une déclaration d’amour. Dans The Player (Robert Altman, 1992), le milieu hollywoodien est vu de l’intérieur, entre intrigues de studio et cynisme à la pelle. Stars en guest stars (Julia Roberts, Bruce Willis, Burt Reynolds…), clins d’œil méta, satire.

Même Michel Blanc, avec Grosse fatigue (1994), réalisé par lui-même, se met en scène dans un film où il est harcelé par un sosie. Qui joue qui? Où est la vérité? La fiction brouille les pistes.

The Barefoot Contessa (Joseph L. Mankiewicz, 1954) explore aussi les coulisses du cinoche, avec Ava Gardner en actrice découverte dans une taverne. Mankiewicz dut préciser que tout était inventé, tant les ressemblances avec Howard Hughes faisaient jaser. Le cinéma se situe alors entre biographie rêvée et réalité maquillée.

Et puis, il y a Quentin Tarantino. Cinéaste-cinéphile, il ne cesse de glisser ses références à l’écran. Pulp Fiction (1994) rend bien sûr hommage au polar à la sauce série B; Kill Bill : Vol. 1 (2003) s’inspire de Lady Snowblood (Toshiya Fujita, 1973), jusqu’à en reproduire les codes et le graphisme; Django Unchained (2012) reprend carrément le nom de Django créé par Sergio Corbucci en 1966.

Et avec Once Upon a Time… in Hollywood (2019), il ne s’agit plus seulement de taper à l’épaule de films amis : c’est toute une époque qu’il ressuscite, une ode au cinéma perdu, reconstituée jusqu’au détail.

Même sa société de production, A Band Apart, est un hommage au Bande à part de Jean-Luc Godard sorti en 1964, sachant que le même Godard montrait à son tour un tournage dans Le Mépris (1963), avec Fritz Lang en Fritz Lang. Le cinéma aime se regarder dans le miroir.

Rêves d’enfance et bobines de mémoire

Le cinéma, c’est aussi la mémoire de l’enfant. Dans Cinema Paradiso (Giuseppe Tornatore, 1988), Totò, alias Salvatore Cascio, découvre la magie du grand écran grâce au projectionniste bourru joué par Philippe Noiret.

Les larmes pourraient former un océan lors de la séquence finale, où les baisers censurés d’antan sont rassemblés en un dernier hommage comme un flash-back éternel, sur le Love Theme bouleversant d’Ennio Morricone. Who Framed Roger Rabbit? (Robert Zemeckis, 1988) commence comme un cartoon, mais bascule ailleurs : ce n’est pas un dessin animé, c’est un tournage de dessin animé.

Et puis le réalisateur mixe acteurs en chair et en encre, dans un monde où le spectateur croise Betty Boop, Bugs Bunny et Droopy. Derrière ce jeu de formes, c’est aussi un polar noir qui se dessine. Noir d’encre, noir d’âme – qui n’a pas été traumatisé par la chaussure que le juge DeMort fait impitoyablement fondre dans son immonde trempette?

Super 8 (J.J. Abrams, 2011), quant à lui, reprend le flambeau «spielbergien», en particulier celui des années 1980. Un groupe d’enfants tourne un film d’horreur en Super 8, mais découvre une véritable créature échappée d’une base militaire

Ledit film est produit par Amblin, avec son logo au dessin d’E.T. l’extraterrestre sur le vélo dans le ciel et la grosse lune en fond; il s’avère que c’est la société de Spielberg «himself», donc tout se recoupe. Le cinéma se regarde. Mais parfois, il faut traverser l’écran pour comprendre.

The Purple Rose of Cairo (Woody Allen, 1985) inverse la donne : c’est un personnage de film qui sort du cadre pour rejoindre le monde réel. Magie, amour, désillusion.

Dans Last Action Hero (John McTiernan, 1993), c’est un enfant encore qui entre dans le film, aux côtés de son idole jouée par Arnold Schwarzenegger. La frontière devient poreuse. L’écran n’est plus une barrière, mais un passage vers un idéal de réalité ou vers le rêve.

Entre fantasmes et fiction

Le cinéma, c’est, en effet, le rêve. Celui qu’on poursuit et celui qui nous échappe. Dans Otto e mezzo (Federico Fellini, 1963), un cinéaste, joué par un acteur star, Marcello Mastroianni, fuit le tournage de son film pour se perdre dans ses souvenirs et ses fantasmes.

L’œuvre devient alors un labyrinthe mental, un film sur un film qu’on ne parvient pas à faire, donc un film sur tous les films. C’est le même genre de spirale onirique qui se retrouve dans Millennium Actress (Satoshi Kon, 2001), où une vieille actrice revisite sa vie à travers ses rôles.

Fiction et mémoire s’imbriquent. L’histoire du Japon, l’histoire du cinéma japonais d’après-guerre, et l’histoire d’un amour inachevé s’y superposent. Comme dans un rêve, les scènes se télescopent et les époques s’entrelacent. Le cinéma devient mémoire collective.

Et puis il y a le mystère, le vertige, la faille. Mulholland Drive (David Lynch, 2001) nous embarque sur une route sinueuse, entre rêve et cauchemar, où les identités se dédoublent, se recomposent et se désagrègent.

Qu’a-t-on vu, au juste? Que s’est-il passé? Il faut se frotter les yeux : la logique s’efface, il ne reste que le trouble. À l’image du cinéma lui-même : une énigme qui ne cherche pas à être résolue. Parce qu’au fond, tout se joue dans le regard du spectateur.

C’est lui qui, au sens propre comme au sens cinématographique, projette. Le cinéma dans le cinéma n’est pas un simple procédé : c’est une boucle qui nous inclut. Nous ne sommes plus seulement face à l’écran. Nous sommes dedans.

En bref

Dernier programme avant la fermeture de la Cinémathèque, dont la réouverture est pour l’instant prévue en 2029, «Movieland» propose jusqu’au 4 septembre 40 films sur le thème du cinéma au cinéma, dont la majorité des œuvres citées ci-dessus. Quelques séances incontournables :

CENTER STAGE (Stanley Kwan, 1991)

Dimanche, à 18 h 30

BOOGIE NIGHTS (Paul Thomas Anderson, 1997)

Le 15 août, à 20 h 30.

MULHOLLAND DRIVE (David Lynch, 2001)

Le 21 août, à 19 h.

WHO FRAMED ROGER RABBIT (Robert Zemeckis, 1988)

Le 22 août, à 18 h 30.

TROPIC THUNDER (Ben Stiller, 2008)

Le 30 août, à 21 h.

CINEMA PARADISO (Giuseppe Tornatore, 1988)

Le 4 septembre, à 20 h.

Cinémathèque – Luxembourg.

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