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[Art] Le Saint Sébastien du Greco réclamé par la Roumanie


Le Saint Sébastien que la Roumanie veut voir revenir est le deuxième des trois tableaux que Le Greco a dédiés au martyr. (Photo : afp)

Un prince, un oligarque russe et l’État roumain : trois prétendants de taille se disputent la propriété d’un tableau du peintre Le Greco ayant récemment refait surface lors d’une vente aux enchères de Christie’s à New York.

Estimée entre 7 et 9 millions d’euros, la toile du Greco date des années 1600 et représente le martyr Saint Sébastien au torse criblé de flèches. La prestigieuse maison l’a retirée de son catalogue en février «par précaution», le temps que la lumière soit faite sur cette épineuse affaire après des protestations de Bucarest. Trois versions s’affrontent devant les tribunaux new-yorkais, dont certains versés au dossier cet été.

D’un côté, la Roumanie revendique la propriété de cette pièce de la collection royale passée après-guerre sous la coupe de l’État, de l’autre, un descendant de la monarchie se bat pour récupérer une œuvre qu’on croyait spoliée par les communistes. Avec, au milieu de cette bataille, l’actuel propriétaire, une société du milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, qui clame sa «bonne foi» et espère pouvoir vendre son bien, «unique et spectaculaire» selon les termes de Christie’s.

C’est en 1947 que le chef-d’œuvre, sobrement intitulé Saint Sébastien, aurait disparu du château de Transylvanie où il se trouvait, emporté par le roi Michel Ier de Roumanie à l’occasion d’un voyage pour assister au mariage de la reine Elizabeth II à Londres. L’ancien souverain l’a sorti du pays «en toute illégalité», s’insurgent les autorités roumaines. Dans sa plainte, le prince Paul de Roumanie, 76 ans, accuse lui aussi Michel Ier d’avoir «volé» la peinture. Il l’a chargée avec «d’autres objets de valeur dans deux wagons de l’Orient-Express» avant de cacher le tout dans les coffres d’une banque zurichoise, accuse le neveu du dernier roi de Roumanie.

«Propriétaire légitime»

Issu d’une union longtemps jugée illégitime en Roumanie et jamais reconnu comme un membre de la famille royale, Paul de Roumanie réside actuellement en France pour échapper à la justice de son pays, qui l’a condamné à de la prison pour trafic d’influence. Mais d’après le récit livré aux magistrats par la compagnie Accent Delight, les communistes auraient en fait autorisé le roi à garder le tableau «afin de l’inciter à quitter le pays» sans faire de remous, alors qu’ils craignaient «des troubles publics du fait de sa popularité».

Peu après son retour au pays, Michel Ier est de fait forcé à abdiquer, les communistes abolissent la monarchie et proclament la République populaire. Le monarque part en exil. Il ne reviendra qu’en 1997. Entretemps, il a vendu en 1975 le tableau au marchand d’art français Daniel Wildenstein. L’œuvre est ensuite passée entre plusieurs mains avant d’être achetée en 2010 par la société de Dmitri Rybolovlev, président du club de football de Monaco.

Avant cette nouvelle procédure, l’État roumain avait déjà tenté de récupérer le Saint Sébastien du Greco et plusieurs objets de la collection royale. En vain. Mais sur fond de montée du discours nationaliste dans le pays d’Europe orientale, les autorités ont décidé de repartir à l’assaut et de réclamer la restitution de cette «pièce unique du patrimoine culturel roumain à son propriétaire légitime, la Roumanie».

Trois versions du Saint Sébastien

«Si ce tableau historique et irremplaçable est vendu avant que Bucarest puisse faire valoir ses droits et obtenir gain de cause, cela causerait un préjudice immédiat et irréparable à l’État roumain et à son peuple», a prévenu Marcel Ciolacu, alors Premier ministre, dans une lettre remise en début d’année au tribunal new-yorkais.

Grec de naissance, mais formé en Italie avant de devenir l’un des peintres fondateurs de la Renaissance espagnole, Le Greco (1541-1614) a réalisé deux autres tableaux représentant Saint Sébastien, sujet commun dans l’art religieux de l’époque – à qui Bellini, Botticelli, Titien ou Raphaël ont également dédié des toiles, leur permettant d’expérimenter la dimension dramatique du nu masculin. Le premier, peint entre 1576 et 1579 et connu pour la posture inhabituelle du martyre, est conservé à la cathédrale de Palencia, dans le nord-ouest de l’Espagne; ce fut l’une des premières œuvres de l’artiste en Espagne. Le deuxième est celui réclamé par la Roumanie. Le dernier, daté de 1610 à 1614, existe en deux fragments, exposés au musée du Prado, à Madrid.