Accueil | A la Une | Nutrition : «Si ça semble trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas»

Nutrition : «Si ça semble trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas»


Anne Marx préside l'Association nationale des diététiciens du Luxembourg (Photo : didier sylvestre)

L’Association nationale des diététiciens du Luxembourg alerte sur les pratiques des soi-disant experts en alimentation.

Face à la prolifération de coachs autoproclamés ou de nutritionnistes sans cadre réglementaire, l’ANDL met en garde le public », écriviez-vous à l’occasion des 40 ans de l’ASBL. Les coachs autoproclamés dont vous parlez n’ont-ils pas toujours existé?

Anne Marx, la présidente de l’ANDL : Si, on les voyait déjà dans les magazines féminins dès les années 60. On y trouvait ce qu’on appelle aujourd’hui des fake news sur l’alimentation : des régimes où l’on ne mangeait que de l’ananas ou de la soupe aux choux. Mais ce qui a changé, c’est qu’on les retrouve partout : sur les réseaux sociaux, dans les salles de fitness, dans les magasins… Bref, dans tous les domaines qui touchent à la santé et au bien-être.

Qui sont ces coachs?

Il y a ceux qui donnent des conseils rapides en dix minutes. D’autres ont vraiment un cabinet et proposent des régimes plus élaborés. Et puis il y a ceux aussi qui font tout en ligne : on s’inscrit, on reçoit un plan sans explication, souvent le même pour tout le monde. Et ça, c’est une grosse différence avec les diététiciens.

Pourquoi?

Parce que les diététiciens font une véritable anamnèse alimentaire. Ils vous demandent ce que vous mangez, quelles sont vos habitudes, vos préférences, si vous avez des pathologies ou des allergies. On regarde vraiment la personne dans sa globalité et le régime est adapté.

Quelles peuvent être les conséquences si l’on suit les conseils d’un coach en nutrition?

Elles peuvent être très diverses. Elles vont des carences en vitamines, minéraux ou nutriments à des effets plus graves. Certains de ces régimes éliminent toute une catégorie d’aliments – souvent les glucides (elle rit). Il y a aussi les poudres « prescrites » : certaines viennent d’internet, ne sont pas contrôlées et peuvent contenir des substances nocives. Ça peut vraiment être dangereux.

Quand l’alimentation n’est pas adaptée, les gens se découragent, ils ont faim, ça ne fonctionne pas, ils ne se sentent pas bien et perdent la motivation. La perception qu’ils ont de la diététique peut alors changer.

Enfin, si le coach n’a pas de formation scientifique ou médicale, il peut passer à côté d’une pathologie ou d’une allergie. Et pour une personne avec une maladie chronique, un régime mal conçu peut avoir de graves conséquences.

Vous voyez ces cas au Luxembourg?

Oui, il y en a. Nos membres nous en parlent. Et à l’association, on reçoit aussi les signalements des patients. On voit beaucoup de choses passer sur les réseaux sociaux, dans des publicités ou même en ville, sur des pancartes. On essaie de rester vigilants. Et si besoin, on transmet ces éléments au Conseil supérieur de certaines professions de santé, qui peut alors intervenir et faire un contrôle.

Est-ce que la législation permet d’agir?

Oui et non. Beaucoup de choses sont réglementées. Il y a une législation, on est régulièrement consultés pour donner notre avis et proposer des adaptations, mais elle date déjà un peu. C’est plus simple quand il s’agit de cabinets physiques. Sur internet, c’est très difficile à contrôler. Il existe une réglementation européenne sur les allégations nutritionnelles et les propos qu’on peut tenir à propos des aliments. Mais certains influenceurs contournent ces règles. Certains – pas des Luxembourgeois – ont déjà été condamnés, mais ils continuent. Les bénéfices qu’ils en tirent dépassent largement les amendes. Leur pouvoir est énorme.

Quels sont les signes à repérer pour éviter les arnaques?

D’abord, si ça semble trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas (elle rit). Ensuite, si la personne met en avant un aliment miracle ou au contraire diabolise un aliment sans raison, c’est suspect. Évidemment, certains aliments comme les sodas ne sont pas idéaux. Mais il ne faut pas non plus les traiter comme des poisons.

Et si la personne vous vend un produit à la fin de son discours, là aussi, il faut se poser des questions. Et attention à ceux qui se donnent le nom de nutritionniste, parce qu’au Luxembourg, ce n’est pas protégé.

Qu’en est-il des témoignages qu’on voit sur les réseaux?

Beaucoup de gens racontent leur propre expérience. Mais sur les réseaux, on ne montre qu’un aspect de sa vie. Très souvent, c’est pour vendre quelque chose : un produit, un programme, un coaching. Il y a une différence entre quelqu’un qui partage honnêtement son vécu et quelqu’un qui s’en sert pour faire du marketing. Dès qu’il y a un lien monétisé, il faut être prudent.

Vous parlez aussi de contenus manipulés?

On voit maintenant des deepfakes. Certains utilisent la voix ou le visage de vrais médecins ou diététiciens pour leur faire dire des choses qu’ils n’ont jamais dites. Les gens pensent que ce sont eux, alors que ce n’est pas le cas. C’est très trompeur.

Quel est votre conseil à quelqu’un qui veut changer son alimentation?

D’abord, s’il y a une pathologie, il faut consulter un médecin. Ensuite, il faut vérifier que la personne est bien diplômée, qu’elle a une autorisation d’exercer. Et idéalement, pouvoir la rencontrer. Une vraie diététicienne a suivi une formation scientifique complète : anatomie, physiologie, pathologie, chimie, cuisine thérapeutique… On a aussi des stages, des ateliers pratiques, sur les textures adaptées pour les troubles de la déglutition, par exemple.

Les troubles du comportement alimentaire sont-ils en augmentation?

Oui. Et pas seulement chez les femmes, on le voit aussi chez les hommes. Depuis l’année dernière, ces prises en charge sont remboursées par la CNS. Et les diététiciens ont toute leur place dans le suivi, en lien avec les psychologues ou les psychiatres.

Certaines tendances alimentaires semblent cycliques. Aujourd’hui, quelle est la mode?

Les protéines en poudre. Tout le monde est obsédé par les protéines (elle rit). Mais dans une alimentation équilibrée, on en trouve suffisamment, sauf si on est un athlète de haut niveau. Et encore, dans les calculs standard, deux à trois séances de sport par semaine sont déjà prises en compte. Je vois aussi passer beaucoup de vidéos sur des produits contre les ventres gonflés et des remèdes miracles pour les femmes à la ménopause. Ah! et le cortisol : les gens auraient un taux de cortisol trop élevé et devraient prendre une poudre pour pouvoir perdre du poids…

Pourquoi l’ANDL n’est-elle pas plus présente sur les réseaux sociaux?

On essaie. Pour les 40 ans de l’association, on a lancé une communication sur Instagram. On présente notre travail, nos participations à des événements, des formations. Mais comme on est tous bénévoles, on ne peut pas tout faire. Et il faut aussi respecter un code de déontologie : en tant que professionnels de santé, on ne peut pas tout dire, ni faire du marketing agressif.

Une association forte de 135 membres

Fondée il y a 40 ans, l’Association nationale des diététiciens du Luxembourg regroupe aujourd’hui environ 135 membres. Elle œuvre à la formation continue des professionnels, à la promotion de la profession et pratique de la veille contre les pratiques illégales. Composée de bénévoles, elle est l’interlocutrice officielle des instances de santé pour représenter la profession. Elle milite aussi pour une meilleure reconnaissance de la diététique comme acte de soin fondé sur des bases scientifiques. En 40 ans, le métier a bien sûr évolué, ces dernières années surtout. Auparavant, il s’exerçait essentiellement dans les hôpitaux, les maisons de repos, dans le secteur de la sécurité alimentaire ou le secteur éducation pour la santé. Mais depuis qu’en 2019, la consultation est remboursée par la CNS, les diététiciens peuvent plus facilement ouvrir leur propre cabinet, car ils ont plus de clients. Des clients de plus en plus végétariens et plus soucieux de l’environnement.

Newsletter du Quotidien

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez tous les jours notre sélection de l'actualité.

En cliquant sur "Je m'inscris" vous acceptez de recevoir les newsletters du Quotidien ainsi que les conditions d'utilisation et la politique de protection des données personnelles conformément au RGPD .