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Biens coloniaux : la France ne veut plus être «à la traîne»


Les statues appartenant au trésor royal d’Abomey, ici présentées au musée du Quai Branly, ont été restituées au Bénin.

Vers une loi-cadre pour faciliter la restitution d’objets coloniaux : le gouvernement français vient de présenter un projet de texte afin de répondre aux pays réclamant le retour de ces biens culturels.

Exposé en Conseil des ministres mercredi dernier, un projet de loi très attendu prévoit de faciliter la sortie des œuvres des collections françaises en dérogeant au principe de leur inaliénabilité sans passer par un fastidieux processus législatif.

Sur le réseau social X, la ministre française de la Culture, Rachida Dati, s’est félicitée d’un «acte fort», «pour l’apaisement, pour la reconnaissance des mémoires et pour le renouvellement de nos relations avec les pays qui en ont été victimes».

S’appliquant en priorité aux pays africains, mais de «portée géographique universelle», il vise à accélérer le retour de biens culturels réclamés par des «États qui, du fait d’une appropriation illicite, en ont été privés» entre 1815 et 1972, selon le ministère de la Culture.

Sont concernés les biens culturels acquis «dans une situation de vol, de pillage, de cession ou de libéralité obtenue par contrainte ou violence ou d’une personne qui ne pouvait en disposer», a-t-il précisé.

Le texte, concrétisation de la promesse d’une «nouvelle histoire» lancée par Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017, devrait être présenté en septembre au Sénat. Il prévoit qu’au lieu d’une loi spécifique pour chaque œuvre ou objet, seul un décret du Conseil d’État et la preuve documentée de son appropriation illicite suffisent.

Une commission bilatérale associant des experts et des historiens français à ceux de l’État demandeur sera chargée de ce travail, si besoin, selon le ministère.

Une dizaine de demandes

Concernant la période historique retenue, 1815 correspond à la date d’un règlement des conquêtes napoléoniennes qui est dû à un premier mouvement de restitution d’œuvres à l’échelle européenne.

L’année 1972 est celle de l’entrée en application de la convention internationale de l’Unesco protégeant les biens culturels contre le trafic illicite.

Alors que des milliers de pièces ont déjà été restituées à l’Afrique dans le monde, la France est «à la traîne», selon la chercheuse et anthropologue Saskia Cousin, spécialiste de la question. Jusqu’à présent, Paris n’a rendu que 26 objets du trésor royal d’Abomey au Bénin en 2021 ainsi que le tambour parleur Djidji Ayôkwé cette année à la Côte d’Ivoire.

Un sabre, supposé avoir appartenu au chef de guerre El Hadj Oumar Tall, a également été rendu au Sénégal en 2019, mais des doutes demeurent quant à l’identité de son propriétaire, selon certaines sources.

Une dizaine d’autres demandes lui ont été formulées officiellement, «certaines, très généralistes, pour lesquelles la ministre de la Culture, Rachida Dati, a demandé un resserrement du champ, comme pour l’Éthiopie, qui réclamait il y a quelques années toutes les œuvres contenues dans les collections nationales», a indiqué le ministère.

L’Algérie réclame pour sa part des effets personnels de l’émir Abdel Kader et le Mali des pièces du trésor de Ségou qui avaient été saisies lors d’opérations militaires liées à la conquête coloniale. Le Bénin souhaite également que la France étudie d’autres demandes après les 26 objets déjà restitués.

«Réparation matérielle et symbolique»

Empire colonial du XVIe à la première moitié du XXe siècle, la France possède encore des dizaines de milliers d’objets, notamment africains, dans ses musées. Le seul musée parisien du Quai Branly conserve quelque 72 000 objets d’Afrique subsaharienne.

Les experts du ministère sont engagés dans un travail de recherche en provenance. Une grande partie des objets africains du Quai Branly, acquis durant la période coloniale souvent par la force ou la coercition, mais pas toujours, font aussi l’objet d’un travail au long cours sur leur provenance en vue d’éventuelles restitutions. Un certain nombre de travaux scientifiques sont aussi conduits au musée de l’Homme, selon le ministère.

Le projet de loi-cadre concentre «l’essentiel des attentes», a récemment convenu Rachida Dati, qui avait été contrainte de retirer un premier texte de l’ordre du jour parlementaire. Il était jugé insuffisamment motivé par le Conseil d’État et attaqué par des sénateurs qui dénonçaient un «examen à marche forcée».

Le nouveau texte poursuit un objectif de «réappropriation», par les États demandeurs, «d’éléments fondamentaux de leur patrimoine» ainsi qu’une «réparation matérielle et symbolique du lien qui unit les États concernés à leur patrimoine et à leur mémoire», a souligné le ministère.

Il s’agit de la troisième et dernière étape d’un dispositif législatif visant à faciliter la sortie d’œuvres du domaine public. En 2023, la France a adopté deux autres lois-cadres : la première facilite la restitution des biens spoliés par les nazis.

La seconde concerne celle des restes humains. Elle a trouvé une première application avec la restitution de trois crânes à Madagascar, qui devrait être officialisée fin août.

Des restitutions au compte-goutte

De nombreuses pièces sont réclamées à la France et à d’autres pays européens des années durant avant leur retour éventuel à leur pays d’origine. Voici quelques exemples emblématiques.

LE TRÉSOR ROYAL D’ABOMEY Fin 2020, le Parlement a adopté une loi autorisant le retour définitif au Bénin de 26 œuvres du trésor royal d’Abomey, prises de guerre françaises en 1892.

La restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwé, instrument sacré de trois mètres de long et 430 kg, définitivement votée à l’Assemblée nationale début juillet, répond à un engagement pris en 2021 par Emmanuel Macron et à une demande de la Côte d’Ivoire datant de 2019.

LES «BRONZES DU BÉNIN» En juin, les Pays-Bas ont restitué au Nigeria 119 sculptures anciennes, volées à la fin du XIXe siècle au royaume du Bénin, situé dans ce qui est aujourd’hui le sud du Nigeria.

Après des années de négociations, un accord a été conclu en juillet 2022 entre Berlin et le Nigeria pour la restitution d’environ 1 100 œuvres et, en décembre 2022, les 22 premiers bronzes ont été restitués.

Au Royaume-Uni, le British Museum refuse de restituer la centaine de bronzes en sa possession, craignant un effet domino qui verrait les revendications se succéder au point de vider les musées britanniques.

ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES Trois pièces emblématiques sont réclamées de longue date par Le Caire. Le buste de Néfertiti, peint en 1340 avant J.-C., a atterri au Neues Museum de Berlin en vertu du partage colonial. La pierre de Rosette, stèle gravée en 196 avant J.-C. en grec ancien, égyptien démotique et hiéroglyphes, est exposée depuis 1802 au British Museum de Londres, avec, en cartel, «prise en Égypte en 1801 par l’armée britannique».

Le zodiaque de Dendérah, représentation de la voûte céleste descellée à l’explosif d’un temple égyptien en 1820, est accroché à un plafond du Louvre depuis 1922. Une copie de plâtre le remplace à Dendérah.

L’ÉPINE DES FRISES DU PARTHÉNON Exposées au British Museum depuis plus de deux siècles, ce sont celles qui concentrent le plus d’attention en matière de restitution.

Athènes réclame depuis des décennies leur retour, affirmant qu’elles ont été l’objet d’un pillage orchestré en 1802 par Lord Elgin, ambassadeur britannique auprès de l’Empire ottoman. Londres affirme au contraire que les vestiges longs de 75 mètres ont été «acquis légalement» par Lord Elgin, qui les a revendus au British Museum.

À l’issue d’une rencontre en décembre 2024 entre le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, et son homologue britannique, Keir Starmer, à Londres, le British Museum avait indiqué mener des «discussions constructives» avec Athènes en vue d’un «partenariat sur le long terme» concernant les frises.

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