Accueil | A la Une | [Nos visites insolites] Un voyage dans le temps depuis la place des Martyrs

[Nos visites insolites] Un voyage dans le temps depuis la place des Martyrs


«J’organise mes visites en tant qu’historien et elles sont toutes uniques», assure Robert Philippart. 

Cet été, la rédaction du Quotidien vous emmène à la découverte de lieux et d’activités insolites à travers le patrimoine du Grand-Duché. Nous partons à la rencontre de celles et ceux qui, animés par la passion, font vivre ces petits bouts d’histoire dissimulés.

Si les casemates du Bock, le Palais grand-ducal ou encore le château de Vianden sont des lieux incontournables pour tous touristes dignes de ce nom, le Luxembourg recèle également de nombreux lieux et activités insolites qui prennent vie grâce à des passionnés amoureux du patrimoine secret du Grand-Duché.

Musée du tram, visite guidée centrée sur les faits divers aux côtés d’un policier à la retraite ou encore rencontre avec un passionné d’histoire, nous vous emmenons, pendant tout l’été, à la rencontre des lieux et des histoires dissimulées. Ce samedi, nous avons rendez-vous avec l’historien Robert Philippart, pour un voyage qui va nous transporter aux origines de la place des Martyrs, aussi connue sous le nom de Rousegäertchen, soit le «jardin des roses».

Des visites gratuites

Le soleil chauffe à blanc la place où l’ombre est inexistante, ce dimanche 27 juillet. Pourtant, une foule s’amoncelle de minute en minute au centre de l’espace. Engoncé dans un impeccable costume bleu marine, foulard noué au cou, Robert Philippart salue un à un les visiteurs qui vont suivre dans quelques instants son récit d’une heure trente sur l’histoire du Rousegäertchen.

Il s’agit de s’intéresser aux origines du site, à son évolution

Une fois par mois, cet historien dont les recherches et publications portent sur l’histoire urbaine, l’architecture et l’histoire sociale du Grand-Duché, et surtout de sa capitale, propose une visite historique et gratuite de Luxembourg. La résidence de l’ambassade France en janvier, les allées disparues de la Ville-Haute en mars ou encore le parc Dräi Eechelen à la fin septembre font partie du large éventail de cette offre. 

«Pour la place des Martyrs, l’idée m’est venue de proposer cette visite car il s’agit d’un territoire de l’ancienne forteresse qui a été urbanisée. Il s’agit de s’intéresser aux origines du site, à son évolution», explique Robert Philippart. «L’idée est de comprendre comment et pourquoi elle a été créée, comment a-t-elle été nommée à travers le temps, quelles sont ses incohérences…»

Que faire de ce plateau ?

14 h 30 sonnent et 73 personnes entourent à présent l’historien qui s’est, à présent, équipé d’un micro et a placé à sa taille une enceinte. Le soleil s’est fait voler la vedette par des menaçants nuages gris qui déversent en quelques instants leurs premières gouttes sur les visiteurs. «On va s’adapter», lance Robert Philippart emmenant avec lui toute la troupe à l’abri dans l’intérieur d’une structure en verre du parking de la place. Bon an mal an, tout le monde se sert dans la chaleur moite, la visite peut commencer. «J’espère quand même que l’on pourra sortir», déclare le guide. 

La place des Martyrs se trouve dans la zone protégée par l’Unesco.

Le récit débute en 1671, nous nous trouvons alors sur le plateau Bourbon à la limite des fortifications et il est alors questions de rapprocher les plateaux qui forment la cité. Un projet qui ne sera finalement pas réalisé. En déroulant le fil de l’histoire, Robert Philippart nous emmène en 1867, année durant laquelle le traité de Londres va amener au démantèlement de la forteresse qui dominait jusqu’alors le lieu. Le tram arrive en 1875 au niveau de l’avenue de la Gare et la question se pose : que faire de ce plateau?

Sortir de terre une zone industrielle est la première option proposée par la Ville avec la volonté de créer de l’emploi et de la richesse. Un projet qui sera finalement abandonné, tout comme celui évoqué, un temps, de la construction d’une église, d’un presbytère et d’une école. Alors que sur la même période, la construction du pont Adolphe a débuté depuis 1900, avec, pour objectif, d’accueillir la ligne de chemin de fer Luxembourg-Echternach (1904-1954). L’idée vient alors d’aménager un nouveau quartier.

L’ARBED hérite du terrain

Pendant qu’il déclame l’histoire du Rousegäertchen, à l’intérieur de notre abri de fortune, Robert Philippart présente à son public, cartes, photos et documents d’archives. Dans une vraie volonté de partage, l’homme âgé de 65 ans prête une attention toute particulière à ce tout le monde voit ce qu’il a à montrer et entende ce qu’il a à dire. D’autant plus que par son phrasé, ses anecdotes et son savoir, les visiteurs ne veulent louper aucune miette de son récit.

Mon métier n’est pas de porter un jugement mais de comprendre l’histoire

«Depuis mes études à Louvain, j’ai toujours voulu communiquer l’Histoire, la partager avec un public, des visiteurs qui posent des questions et qui m’emmènent vers d’autres directions», expose l’historien. «Mon métier, ce n’est pas de porter un jugement mais de comprendre l’histoire qui se construit chaque jour. Je dois garder de la distance et ne surtout pas fusionner avec mon sujet.»

Ce nouveau quartier va à nouveau provoquer quelques remous puisqu’aussi bien l’idée d’un musée national que celui, en 1917, d’un palais de justice mourront dans l’œuf face aux pétitions des commerçants de la Ville-Haute qui craignent de perdre des clients. Finalement, l’État décide de vendre le terrain à l’ARBED, en 1920, qui y érigera son siège. «Des personnes aisées vont s’y installer et vont consommer, les commerçants s’y retrouvent», indique Robert Philippart.

L’édifice sera conçu par l’architecte français René Théry et Sosthène Weis va quitter la fonction d’architecte de l’État pour rejoindre l’ARBED et terminer le palais à l’avenue la Liberté, Théry étant décédé avant la fin du chantier. Pendant ce temps, la place est laissée libre pour les Ponts et Chaussées afin qu’ils puissent y déposer du matériel de construction et y tailler les pierres. En 1922, le chantier de l’ARBED est terminé. Pendant ce temps, le pont Adolphe a été inauguré en 1903 et les tilleuls ont été plantés le long de l’avenue et de la place de Paris en 1914. Ils disparaîtront en 1963 au profit de platanes et de cerisiers.

La place prend forme

Sur la place qui n’était pas censée en être une et que l’on appelle alors place de l’Étoile, on fait avec les moyens bord. «Les voies latérales étaient prévues en 1906 pour des maisons à deux niveaux, de chaque côté de la rue. Les espaces libres de la place créés en 1937 sont de ce fait beaucoup trop petits pour cadrer la place», explique notre guide. La construction du premier immeuble se termine en 1926 et forme le coin de ce qui est, aujourd’hui, la rue du Plébiscite. Il est l’œuvre de Jean Schoenberg dans un style largement inspiré de ce qu’a pu faire Haussmann à Paris. À l’opposé, coiffé d’une coupole, on retrouve un immeuble que l’on doit aux architectes Léon Muller et Joseph Nouveau.

En 1930, l’hôtel Beethoven s’installe dans le fond de la place et donne son nom au lieu. Avec à son rez-de-chaussée, le Clou Bar, un établissement spécialisé dans le jazz, le tout-Luxembourg vient y danser. Il deviendra en 1947 le night-club Charly’s Bar à l’aménagement redessiné en 1963 par l’architecte Robert Lentz. L’immeuble abritera par la suite les discothèques Scorpion et Byblos.

Le parking arrive lui en 1971 sous l’impulsion du syndicat d’initiative. La première pierre sera posée en 1980 pour une inauguration en 1982. Il fonctionnera jusqu’en 2019 avant d’être ravagé par un incendie et de renaître de ses cendres en 2025.

Quant au nom de la place, «il a été donné en 1945 en mémoire des victimes qui ont souffert pour la patrie luxembourgeoise durant la guerre et la Shoah. Aujourd’hui, cela a évolué et ce nom fait référence à tous les martyrs à travers le monde», détaille Robert Philippart.

Alors que le soleil revient, la question se pose enfin : pourquoi les roses? Ce jardin a été créé par l’État il y a près de 90 ans, pour soutenir les producteurs sinistrés par la crise économique et les pucerons. Si depuis plusieurs mois elles ne sont plus là, notre historien l’assure, leur retour ne devrait plus tarder.

Newsletter du Quotidien

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez tous les jours notre sélection de l'actualité.

En cliquant sur "Je m'inscris" vous acceptez de recevoir les newsletters du Quotidien ainsi que les conditions d'utilisation et la politique de protection des données personnelles conformément au RGPD .