Les magistrats démontrent dans leur avis que le projet de loi introduisant un droit pénal pour mineurs doit subir de sérieuses adaptations. Les cas de Tom et Jacqueline sont éloquents.
Il n’y a pas mieux que des exemples concrets pour illustrer la mise en place d’une nouvelle législation. C’est ce qu’ont fait les autorités judiciaires pour faire comprendre aux auteurs du projet de loi introduisant un droit pénal pour mineurs que tout était loin d’être parfait.
Dans l’esprit de l’ancienne ministre de la Justice Sam Tanson, il était important de scinder la procédure relative à la protection de la jeunesse en deux parties très distinctes : un volet droit pénal pour mineurs et un volet protection de la jeunesse et aide à l’enfance. Autrement dit, diviser les mineurs «de façon artificielle et arbitraire», comme le soulignent les magistrats, en deux groupes distincts totalement indépendants l’un de l’autre : d’un côté, les mineurs dans le besoin et ,de l’autre, les mineurs délinquants.
Cependant, les autorités judiciaires estiment que de sérieux efforts d’adaptation doivent encore être réalisés dans ces deux domaines. Ils plaident pour que les deux textes soient harmonisés afin de permettre une interaction favorable à l’intérêt supérieur du mineur et que les textes soient applicables dans la réalité de tous les jours.
Pour mieux faire comprendre leur avis sur la question, les magistrats ont livré l’histoire fictive de Tom et Jacqueline, deux mineurs de sortie en ville le 22 mars 2022. Tom décide d’aller acheter un peu d’herbe à un dealer au coin de la rue, hors de la vue de Jacqueline. Mais Tom se fait arnaquer par le dealer et finit par lui asséner un coup de couteau, le blessant grièvement. Une patrouille de police en civil le retrouve quelques instants plus tard, cette fois en compagnie de Jacqueline, qui ne sait rien de l’altercation qui a eu lieu plus tôt. Cette dernière essaye de protéger son ami Tom et se rend coupable de rébellion.
Tom n’a pas de papiers, il a fui son pays six mois plus tôt et déclare avoir 13 ans. Il est interpellé pour tentative d’homicide et infraction à la loi sur les stupéfiants, mais à cet âge il reste pénalement irresponsable. Il paraît plus vieux, mais impossible de joindre ses parents. Il est arrêté provisoirement sur ordre du ministère public. Le 23 mars 2022, il y a ouverture d’une information judiciaire, le juge d’instruction ordonne une expertise pour déterminer l’âge. Le 1er juin, le rapport d’expertise conclut à l’impossibilité de fixer avec certitude l’âge de Tom. La justice opte pour la situation la plus favorable, donc l’irresponsabilité pénale, le mineur est hors de la procédure et éventuellement confié à l’Office national de l’enfance. Fin de la procédure pénale pour Tom.
Pour Jacqueline, poursuivie pour rébellion à 16 ans, les choses sont différentes. Jacqueline et d’autres mineurs doivent être interrogés et auditionnés par l’un des rares enquêteurs du service de la protection de la jeunesse et chaque fois en présence d’un avocat, sous peine de nullité. En septembre, le procès-verbal d’enquête est déposé au parquet, qui ordonne une enquête sociale. Le temps s’écoule. Le parquet décide une mesure de diversion (une alternative aux procédures judiciaires pénales classiques). Le mineur fait une contre-proposition pour une mesure de diversion.
Le parquet fait une seconde et dernière offre de mesure de diversion, que le mineur est obligé d’accepter. Jacqueline introduit un recours auprès du parquet général. Le recours est rejeté et le dossier, transmis au Service central d’assistance sociale (SCAS) pour mise en place des mesures. Jacqueline n’accepte toujours pas les mesures, voire ne s’y présente pas. Retour du dossier au parquet, qui décide de poursuivre la mineure en justice.
Trois ans s’écoulent…
Une première audience est fixée en octobre 2023. Jacqueline ne s’y présente pas, pas plus qu’à la seconde, un mois plus tard. Le tribunal prononce un mandat de comparution pour le 5 janvier 2024, qui est la prochaine audience libre. Toujours pas de Jacqueline et le tribunal prononce un mandat d’amener. Le 16 février 2024, l’audience se déroule en présence du mineur et de l’escorte policière, si par chance la police a trouvé Jacqueline le matin même du 16 février 2024 et qu’elle veut bien les suivre sans opposer de résistance passive.
En mars 2024, un jugement est prononcé décidant des mesures de diversion ainsi que d’une peine non privative de liberté. Un mois plus tard, Jacqueline interjette appel. Rebelote, elle ne vient pas aux audiences de la Cour d’appel. Le 25 septembre 2024, un arrêt confirme une mesure de diversion et une peine non privative de liberté. Le dossier est transmis au SCAS pour exécution des mesures, mais revient au parquet en mars 2025 parce que Jacqueline n’obtempère pas. Le parquet décide de poursuivre la mineure pour non-exécution de la peine non privative de liberté. La mineure ne vient pas aux deux audiences fixées. Finalement, le 25 juillet 2025, la mineure est condamnée à une peine privative de liberté. Il n’y a pas de pourvoi en cassation, mais Jacqueline apprend qu’elle est enceinte et la peine privative de liberté ne peut pas être exécutée.
De mars 2022 à septembre 2025, trois années et demie se sont écoulées sans qu’aucune assistance ou aide n’ait pu être accordée à Jacqueline, alors qu’elle a tout simplement utilisé la procédure existant dans le projet de loi. Au moment où la décision finale a été prise, au mois de septembre 2025, Jacqueline est majeure et enceinte et n’aura bénéficié d’aucun encadrement et n’exécutera finalement pas la peine prononcée.
Les magistrats reconnaissent avoir présenté une version simplifiée et concrète d’un cas pratique selon le projet de loi analysé.